« eArtsite » consacre le mois de Mars aux Dessins. Dans ce sens, nous réalisons une série d’interviews et d’articles pour mettre les projecteurs sur artistes les dessinateurs d’Afrique et de la Diaspora. Après Yannick Sonon du Bénin , Deotanta Daona du Togo, nous sommes allés à la découverte de Kpadénou Kossi Hunkpati alias Boris Kpadénou (36 ans), un autre Togolais, qui, lui, à la différence des deux premiers, a pour spécialité la combinaison du dessin et le cinéma. Directeur et promoteur de la maison « Aruka Studio », Boris Kpadénou dirige une équipe de 8 personnes (deux à l’externe) dont une jeune dame très exceptionnelle. En deux ans, Boris Kpadénou a, à son actif, une trentaine de productions dont 18 courts métrages (des publicités pour la plupart). Ce personnage très érudit a également participé à des compétitions internationales de dessins et de dessins animés dont celle qui s’est déroulée à Abidjan l’année derrière , à laquelle il a été demi-finaliste. Il y a de cela trois ans, sa structure a réalisé un court métrage d’animation dénommé « grossesse à l’école » dont l’objectif était de sensibiliser les jeunes filles principalement sur la grossesse en milieu scolaire,-un court métrage qui n’a pas connu grand succès à cause de manque de moyen financier,-. Boris Kpadénou a aussi réalisé trois courts métrages d’animation pour sensibiliser sur la sécurité routière, mais toujours sans grande réussite à cause du problème de moyen financier. Mais pourtant, il s’obstine à aller plus loin. Dans ses projets, Boris Kpadenou envisage réaliser 100 contes africains en dessins animés, à travers un projet dénommé « Valeurs d’Afrique », un projet qui va s’étendre sur 20 ans, à raison de 5 contes par année suivis de colloques annuels. Dans cette interview qu’il nous a accordée fin février à Lomé , l’homme explique ses motivations pour cet art. Mais pour lui, ce n’est pas juste qu’une question de passion, mais un défit intellectuel et culturel qu’il s’est lancé, à savoir , restaurer l’identité culturelle de l’Afrique à travers le dessin et le cinéma. Interview.
Le domaine du dessin animé n’est pas trop en vue au Togo, pourquoi l’avoir donc choisi comme profession ?
J’y suis arrivé parce que déjà dès mon enfance j’avais ce rêve de jouer ou d’être acteur de cinéma, c’était ça mon rêve dès le départ, mais à un moment donné je me suis rendu compte que je ne pouvais pas devenir acteur parce que cela impliquait qu’il fallait aller dans une école de cinématographie. Sortant d’une famille modeste je n’avais pas les moyens, mais Dieu m’a pourvu d’un don, celui du Dessin. Donc à défaut d’être acteur, j’ai commencé à créer mes histoires moi-même et à l’âge de 15 ans j’ai réalisé ma première bande dessinée, c’était en 1997 à Sainte Rita à Cotonou, un foyer pour enfant de la rue. A partir de là, j’ai continué ; malheureusement au cours de mes études universitaires, j’ai perdu mon père et cela a mis un frein à mes études. C’est alors que je suis allé au Burkina où je suis tombé sur un concours qui m’a permis d’apprendre comment faire un dessin animé. J’y ai alors été formé dans une l’institut en 2008 et à la suite de ça je suis revenu au pays pour arriver à concilier mon rêve d’enfance et mon talent, mon rêve étant de faire le cinéma et mon talent étant le dessin. Aujourd’hui je suis dans le domaine du Cinéma et j’ai toujours besoin d’apprendre. Du coup, je n’exclus pas de m’inscrire dans une école de cinématographie même si ce n’est pas pour devenir nécessairement un acteur comme je l’ai rêvé depuis l’enfance. Je suis forcé d’apprendre tous les jours, c’est pourquoi lorsqu’il y a des formations je n’hésite pas à y souscrire pour actualiser mes compétentes pour me mettre au niveau de ceux qui sont déjà avancés dans le domaine.
Alors parlez-nous un peu de vos débuts, des difficultés rencontrées que ce soit sur le plan familial, financier ou encore technique.
Sur le plan familial, je dirai qu’annoncer aux parents que tu veux devenir réalisateur de dessin animé, ce n’est pas comme tu leurs annonçais que tu veux être docteur, surtout au Togo. Ils ont raison dans un certain sens car dans ce domaine du cinéma ils ne voient aucune débouchée et ce n’est pas rassurant pour un parent de savoir qu’il va décéder un jour et que son enfant n’ait pas un avenir assuré. Et donc cela fait qu’ils ( Parents, ndlr) n’ont pas bien accueilli mon choix. Dans mes relations personnelles, notamment les relations affectives, les conjointes que j’ai eu à rencontrer se sont séparées de moi à cause du fait que socialement je ne progressais pas très vite, or pour avancer il faut travailler et cela implique qu’il faut avoir des contrats très vite. Etant donné que la mentalité des gens ici n’ait pas encore très ouverte aux dessins animés, naturellement ça donne l’impression à certaines personnes que vous n’êtes pas en train d’évoluer et que vous êtes en train de les regarder. De ce point de vue, j’ai dû perdre des personnes auxquelles je tenais. Sur le plan financier, notre domaine demande beaucoup d’investissement, parce que les ordinateurs qu’on utilise pour faire les animations, ce ne sont pas des ordinateurs ordinaires que les gens utilisent pour faire le traitement de textes ou ceux que les infographistes utilisent. On a besoin de puissantes machines et pour les acheter, il faut avoir de l’argent. En moyenne nos machines coûtent à partir de 3000 euros (1 900 000 FCFA). Quand vous sortez d’un milieu modeste comme moi et que vous voulez faire exactement ce que les autres ont les moyens de faire, c’est très difficile. Et cela fait partir des premières entraves (la difficulté à trouver du matériel pour pourvoir s’installer). Du point de vue technique, je dirai c’est la rareté de la main d’œuvre. Par exemple au Burkina la formation à laquelle j’ai participé, on était 46 jeunes africains venant de 8 pays différents, sur tout le continent en 2008, il y avait eu seulement 46 animateurs qui ont été formés pour toute l’Afrique. Et même je dirai que le Togo avait de la chance parce qu’il y avait trois Togolais sur les 46, les plus nombreux étaient les guinéens parce que dans leurs universités il y avait une faculté d’arts plastiques. Parmi les trois Togolais, il y en a un qui a laissé, nous les deux autres on a continué ; il y a un qui a viré en 3D moi je suis resté en 2D. Ce qui fait que si vous voulez constituer une équipe en grand nombre pour travailler il n’y a personne, donc vous devez les former avant de les employer. Or, pour les former il faut avoir des machines. Au début on a du travailler difficilement avec des machines peu performantes, on s’est contentés de ce que les machines ont pu donner.
Avec toutes ces difficultés, comment est-ce-que vous arrivez à vos intégrer dans ce domaine là au Togo ?
Notre plus grand avantage c’est d’abord d’être au Togo, ce qui nous permet d’être en relation directe avec la population, de savoir comment les gens pensent pour savoir s’adapter à ce qu’ils cherchent. Aujourd’hui ce qui marche le plus dans ce qu’on fait comme activité, c’est la publicité parce qu’aujourd’hui au moins, il y a une évolution, ce qui fait que les gens veulent changer la manière de vendre leurs produits et ils veulent les nouvelles approches pour vendre ces produits et faire la différence par rapport aux concurrents. C’est là que nous intervenons, nous leurs proposons de nouveaux supports de communication qui leur permettent de présenter leurs produits différemment et de ce faire voir. Je ne dirai pas que ça nous nourrit bien parce que sans vous mentir on a en moyenne seulement 5 publicités par an et sur les 5 publicités il est rare de voir les gens vouloir dépenser plus de 500 000 FCFA pour une publicité de 45 secondes, alors que dans les pays comme la côte d’ivoire et le Sénégal la pub de 45 secondes on te fait à 2 ou 3 millions mais ici c’est difficile de convaincre les gens de payer même 500 000 pour la conception des publicités . En terme de publicité, nous avons trois catégories de production : le court métrage, le long métrage et l’émission.
Pourquoi avoir choisi de rester au Togo pour exercer ce métier au lieu que d’aller ailleurs, en Europe par exemple ?
L’Afrique a une grande histoire, elle a beaucoup de chose à apprendre au reste du monde sauf qu’il existe déjà des carneaux que les gens utilisent pour rencontrer l‘histoire de l’Afrique, c’est-à-dire les chanteurs et les griots. En matière d’art il y a beaucoup de choses qui se font mais en matière de dessin il n’y a pas encore grande chose qui se fait. Or pour inculquer l’Afrique aux africains il faut commencer par l’enfance : l’enfance et le dessin animé c’est deux choses qui cohabitent très bien. Une fois qu’à travers les dessins animés l’enfant découvre l’Afrique, découvre les valeurs de l’Afrique, il grandira avec cette Afrique et ne cherchera plus à être déraciné. Aujourd’hui il y a des gens qui ne supportent pas qu’on leur dise que l’Afrique a quelques choses de plus que l’Europe, et ce sont les africains eux même. Il faut faire un travail d’enracinement, c’est pour cela que notre travail ne se limite pas à faire rire les gens ou à les divertir mais leur apprendre des choses sur la culture. On ne fait pas de dessin animé sans leçons, une leçon africaine. Il faut faire un travail de mémoire, un travail de restauration d’identité. Je ne veux pas rester en France ou dans un autre pays pour le faire parce qu’on nous dira encore que c’est parce qu’il est en Europe qu’il arrive à faire ce genre de chose et cela fait que le jeune home africain qui nait en Afrique et qui a envie de réaliser ces choses se dira qu’il n’y a que quand il sera en Europe qu’il pourra faire de grandes choses. On veut rester, se battre aux cotés de nos congénères, travailler et montrer qu’en restant sur son continent on peut arriver à le faire.
Propos recueillis par Charles AYI