L’ambassadeur de Namibie en Allemagne Andreas Guibeb (au centre), la ministre de la Culture allemande Monika Grütters (à droite) et le président de la Fondation du musée de l’Histoire allemande Raphael Gross (à gauche) devant la croix en pierre de Cape Cross, le 17 mai 2019 à Berlin
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Plus de 120 ans après son transport vers l’Allemagne, la Namibie va récupérer cet été la croix en pierre de Cape Cross, installée à la fin du XVe siècle par les navigateurs portugais.

Elle mesure 3,5 mètres de haut et pèse plus d’une tonne. La croix en pierre de Cape Cross avait été installée par les navigateurs portugais sur le sol de l’actuelle Namibie en 1486. Signe d’orientation pour les bateaux, elle constituait aussi un symbole de la nouvelle puissance coloniale. La colonne de Cape Cross porte l’emblème portugais et une croix chrétienne la surmonte. Un texte sculpté dans la pierre vient rappeler que les habitants de ce nouveau territoire sont « inférieurs », car ils ne partagent pas la même religion.

Quatre siècles plus tard, la région devient colonie allemande et le restera jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale. Une colonne marquant la domination de l’empereur Guillaume II remplace la croix qui est ramenée en Allemagne. Elle se trouve depuis la réunification allemande dans les collections du Musée de l’histoire allemande à Berlin. En 1986, la Namibie a installé sur le site historique où se dressait la croix une réplique. Trois demandes de restitution à l’Allemagne en 1925, 1960 et 1990 sont restées infructueuses. La dernière, en 2017, sera la bonne.

«Un geste important permettant de reconnaître une injustice historique»

Les temps ont changé. Obnubilée par son travail de mémoire sur le IIIe Reich, l’Allemagne a longtemps oublié son passé colonial, une phase assez courte de son histoire entre le dernier tiers du XIXe siècle et 1918 lorsque le pays perd ses territoires extérieurs avec le traité de Versailles un an plus tard. Ces dernières années, une prise de conscience a eu lieu. En 2015, le ministère des Affaires étrangères reconnaît que l’Allemagne a commis un génocide sur le territoire de la Namibie actuelle contre les tribus herero et nama. Des négociations ont lieu depuis plusieurs années entre les deux gouvernements. Berlin s’oppose à l’indemnisation des descendants restant fidèles à sa politique d’après-guerre consistant à dédommager les victimes directes du IIIe Reich.

En 2016, une première grande exposition historique sur le passé colonial allemand se tient au Musée historique de Berlin où la croix de Cape Cross est exposée. Lorsque l’institution reçoit l’année suivante une demande de restitution, le nouveau directeur du musée décide d’organiser un colloque interdisciplinaire auquel participent 400 experts, des responsables politiques allemands, namibiens et portugais. La réflexion dépasse la simple analyse juridique qui aurait sans doute conduit à une impasse.

A l’arrivée, Berlin vient donc d’annoncer que la croix en pierre sera restituée durant l’été à la Namibie. « C’est un signal clair que nous reconnaissons notre passé colonial et que nous cherchons et trouvons avec les pays d’origine les moyens d’avoir une cohabitation respectueuse », a déclaré dans une conférence de presse vendredi la ministre de la Culture Monika Grütters. Le directeur du Musée de l’histoire allemande Raphael Gross a évoqué « un geste important permettant de reconnaître une injustice historique ».

L’Allemagne a par ailleurs restitué des ossements datant de la colonisation africaine et s’est engagée en mars à accélérer ces restitutions. En février, le land du Bade-Wurtemberg a rendu deux objets à la Namibie. Plus largement, l’Allemagne va devoir à l’avenir réfléchir sur ces questions, surtout que d’autres pays l’ont déjà fait. C’est le cas de la France, après le rapport des expertes  Bénédicte Savoy et Felwine Sarr proposant la restitution du patrimoine culturel africain présent en France.

Des voix critiques dénoncent cependant le peu d’empressement des musées allemands, surtout lorsque des demandes n’ont pas été présentées par les pays africains concernés.

Rfi.fr

Charles AYI