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« Black Manoo », de Gauz, Le Nouvel Attila, 170 p., 18 €, numérique 12 €.
Porte des Lilas, dans le nord-est de Paris. Hissé sur un promontoire au milieu de la rocade, un homme noir tout de rouge vêtu sort une bouteille de gin de sa valise à roulettes. Il jette quelques gouttes d’alcool sur le sol, murmure une prière, puis prend la direction du cimetière devant lequel il exécute une danse.
Est-il soûl ? Est-il fou ? Qui l’aime le suive. Telle est la logique de Black Manoo, troisième roman de Gauz, qui raconte les joies et les déboires d’un junkie ivoirien dans le Paris des squats des années 1990-2000. Les lecteurs de Camarade Papa (Le Nouvel Attila, 2018), roman de la rencontre entre l’Afrique et l’Europe porté par les regards croisés d’un enfant né de parents ivoiriens à Amsterdam au XXe siècle et d’un jeune Creusois en route vers les comptoirs français de Grand-Bassam au XIXe siècle, seront sans doute perdus. Ceux qui avaient succombé à l’humour corrosif et au sens de la satire sociale de Debout-Payé (Le Nouvel Attila, 2014), roman d’un vigile ivoirien à Paris, s’y retrouveront. Enfin, au début.
Certes, Black Manoo retrace également le parcours d’un Ivoirien débarqué sans papiers à Paris (et ainsi surnommé). Ce faisant, il offre un regard gouailleur sur les quartiers multiculturels de la capitale ; on y rencontre « le Canonnier », créateur de faux visas à Abidjan et inventeur d’histoires, ainsi que « Marabout-Bakar », à qui le héros livre argent, bague et mouton pour garantir la réussite de son voyage ; on va se restaurer au « Mafé Sonacotra », le foyer africain où l’on sert chaque jour le copieux plat ouest-africain ; on croise « les Tlenteulos », prostituées chinoises du boulevard de Belleville.
Le goût du gin, du mafé et du piment
Mais la comparaison avec le premier roman de Gauz s’arrête là. Son intrigue sinueuse, sa chronologie déroutante – qui voit le héros faire des allers-retours entre Paris et Abidjan, une histoire d’amour et un séjour en prison –, ses personnages fantasques et sa toponymie poétique évoquent davantage L’Ecume des jours (Gallimard, 1947) que le témoignage. Chez Boris Vian, l’atmosphère jazz rappelle l’humidité et la chaleur des bayous de Louisiane ; chez Gauz, elle a le goût du gin, du mafé et du piment. Et quelque chose de frénétique, comme la démarche de Black Manoo tandis qu’il s’achemine vers les dealers de la place Stalingrad.
Deux lieux concentrent l’essentiel de l’action du roman : un squat, le « Danger », et un bar clandestin, « Le Sans Issue ». Black Manoo se réveille dans le premier dix-sept jours après sa première dose de crack et son arrivée à Paris. Il a survécu à une phase hallucinatoire pendant laquelle il s’est vu fuir un feu de forêt, des fourmis géantes à ses trousses. L’ambiance parfois éthylique du roman n’empêche pas une description précise de l’organisation des squats au tournant du XXIe siècle. Y vivent, sur deux paliers différents, des Noirs sans papiers et des Blancs « anars ou autonomes proclamés », comme Dominique, originaire du Jura, « héraut » de l’extrême gauche, « créateur et unique rédacteur » d’un « canard gauchiste ». Le héros y rencontre Karol, mère célibataire qu’il encourage à ouvrir une boutique de produits exotiques et un bar dans l’arrière-cour. Au Sans Issue, on mange des pattes et des cous de poulet en sauce. Et les voix d’une dizaine d’Ivoiriens font trembler les murs, tutoyant « aisément le niveau sonore d’une base aérienne ».
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