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Impossible de dissocier l’artiste Smockey du citoyen Serge Bambara. Pour le rappeur burkinabé et cofondateur du Balai citoyen, un mouvement de la société civile, l’engagement artistique et le combat politique sont synonymes. Les 2 et 3 octobre, il présentait Le Syndrome de la pintade au festival Les Zébrures d’automne, à Limoges. Une pièce rappée percutante, dans laquelle il étrille aussi bien les élites (les « pintades ») que la majorité silencieuse (les « poules » à qui l’on confie les œufs de la pintade, mauvaise couveuse).
Celui qui a joué un rôle décisif dans la chute de Blaise Compaoré en 2014 appelle à nouveau les poulaillers à la révolte. À quelques semaines des élections législatives et présidentielle du 22 novembre au Burkina Faso, Smockey s’apprête à sortir un nouveau titre, Pourriture noble. Il y dénonce avec verve le clientélisme et la corruption qui minent la vie politique et sociale de son pays.
Votre pièce Le Syndrome de la pintade représente, dites-vous, le mal des élites. Mais de quelles élites parlez-vous ?
Il s’agit de celles dont la parole compte, ou peut compter, dans les médias. Qu’il s’agisse des politiques, des intellectuels ou des représentants des grandes institutions. Tous ont trahi les masses populaires. Mais, en fait, la vraie question est de savoir si ce sont ces élites-là qui ont trahi les peuples ou si ce sont les peuples eux-mêmes qui n’assument pas leur rôle de citoyen et de contre-pouvoir. C’est l’un des problèmes de ce siècle, surtout depuis qu’il y a les réseaux sociaux.
Les réseaux sociaux ne permettent pas de mobiliser ?
Les réseaux sociaux déresponsabilisent. Ils peuvent mobiliser quand une information est divertissante mais, quand elle demande de faire un effort et appelle à un minimum d’engagement, en général on clique « j’aime » et ça s’arrête là. C’est ce que l’expérience nous a montré. En 2014, on a mobilisé très peu de gens via les réseaux sociaux. Ceux qui se déplaçaient étaient les militants de base avec qui on entretenait des rapports proches.
Comment transformer l’essai de 2014 et faire aboutir le processus engagé ?
Il faut absolument rafraîchir l’offre politique, motiver une grande part de la jeunesse et des femmes, les former d’un point de vue idéologique et politique, pour qu’elles s’impliquent dans ce processus. Le Balai citoyen a signé une convention avec le Parlement, Alliance jeunes et parlementaires, pour intéresser un peu plus de 200 jeunes venant de huit régions à la question parlementaire. Plus de la moitié des participants souhaitent désormais s’engager en politique.
Le Balai citoyen ne se transformera pas en parti politique ?
Non, le Balai citoyen ne sera pas un parti politique. Et ne présentera pas de candidats aux élections. On a vu ce qui est arrivé aux Podemos, en Espagne, et on en a tiré les leçons. On a trouvé d’autres moyens pour plonger dans l’eau sans se mouiller [rires]. On en verra le résultat dans quelques années. On est en train de semer les graines pour en finir avec cette classe politique liée à l’ancien régime de Compaoré.
Que représentent les élections à venir dans ce processus de transition ?
C’est une étape de plus, mais on n’en attend rien d’extraordinaire parce que le parti au pouvoir et certains partis de l’opposition sont ancrés depuis trop longtemps dans la vie politique nationale. Mais j’aime à penser qu’un tocard, ou en tout cas perçu comme tel par les élites, puisse passer. Ça serait pas mal. Ça ferait un sacré pied de nez à l’histoire et aux dés qui semblent être jetés.
Comment lutter contre le terrorisme ? Faut-il, comme le prône le gouvernement, former des civils et les armer ?
Ce n’est évidemment pas la bonne solution parce qu’on ne sait jamais comment ça peut évoluer. Et ça a mal tourné, d’ailleurs. Les koglweogo [« gardiens de la brousse »] ont pu être créés parce qu’il y avait une absence totale de forces dites de l’ordre dans ces zones et que les populations se sentaient menacées. Elles ont été obligées de rendre justice elles-mêmes. C’est la preuve que l’Etat n’est pas un Etat. Dans un mois, le peuple aura la possibilité de sanctionner ou de reconduire les politiques qui ne feront pas plus de deux mandats. C’est déjà une bonne nouvelle. On pourra enfin changer de système !
Comment regardez-vous ce qui se passe en Côte d’Ivoire et en Guinée où les présidents en exercice se présentent pour un troisième mandat ?
Il y a un syndrome du troisième mandat. Mais j’ai l’impression que la jeunesse ivoirienne a vraiment abandonné la lutte. Contrairement au Burkina Faso, qui a une histoire politique assez intense, il y a peu de conscience politique. Et la question ethnique, comme en Guinée, est souvent mise en avant. C’est un glissement de terrain extrêmement dangereux.
Dans votre pièce, un personnage dit : « Nous devons être le centre de nous-mêmes et non la périphérie des autres. » L’Afrique est encore trop dépendante ?
Ce qui importe aujourd’hui, c’est la question du développement endogène. Joseph Ki-Zerbo [historien et homme politique] disait : « On ne développe pas, on se développe. » Dans l’équilibre relationnel qui doit exister aujourd’hui avec le reste du monde, il faut que nous ayons notre part à jouer. Et que nous ayons un rôle central lorsqu’il s’agit de notre propre devenir et de notre propre développement. On ne peut pas se coucher sur la natte des autres et être libre.
La France a annoncé la fin du franc CFA, la restitution d’œuvres d’art volées lors de la colonisation, l’extradition de François Compaoré… Y voyez-vous le signe d’une évolution des relations France-Afrique ?
Il y a eu ces annonces, en effet, mais nous, nous attendons de voir les faits concrets. À ce jour, François Compaoré n’a toujours pas été extradé. Quand Emmanuel Macron est venu à Ouagadougou en 2017, nous avons insisté sur ce point et sur la déclassification des archives Sankara. On attend des actes forts qui donnent à penser qu’on est sorti de ce « carcan » Françafrique.
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