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Qui se souvient encore que Bangui, capitale de la Centrafrique, a un musée ? Certains jours, le directeur pense qu’il est bien le seul. Même les dorures des deux trônes de Bokassa, dans un coin du bureau, semblent se demander ce qu’elles font là. En face, le ministère des mines, rénové en 2019 grâce à un don chinois, nargue la petite bâtisse dont Abel Kotton a la charge et qui, elle, attend toujours ses travaux.

En 2014, le musée Boganda a subi le premier pillage de son histoire. Avant que les 3 500 pièces restantes ne soient à leur tour menacées par les fuites d’eau, dues aux impacts de balles sur la toiture. Décision est alors prise d’abriter le tout dans des caisses en bois avant que le toit ne soit refait et les sarcophages fermés.

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Abel Kotton libère toujours du temps pour les quelques expatriés qui franchissent les portes de son musée, voyant peut-être en chacun un potentiel mécène. En attendant, la visite est autant un voyage dans l’absurde que dans l’histoire du pays. On y voit des montagnes de caisses, on passe devant des étagères vides, avant le point d’orgue du bloc B : un gorille et un alligator empaillés, posés à quelques mètres d’un lit impérial démonté. Le tout dans une relative pénombre, l’électricité étant hors service aux étages.

Relancer un musée n’est pas chose simple. « Il y a un travail scientifique et technique de restauration à mener, explique Abel Kotton. D’autant qu’on ne sait pas dans quel état on va trouver les pièces. » Elles ne verront pas la lumière du jour avant la rénovation des lieux, cofinancée par les coopérations française et chinoise, à hauteur de 100 millions de francs. Mais la pandémie a mis un coup d’arrêt provisoire au projet.

Une politique mémorielle a minima

Lors de son inauguration en 1966, le musée voulait promouvoir les richesses culturelles des quelque 90 ethnies du pays, ainsi que la vie du premier président Barthélémy Boganda. L’objectif était de tourner la page coloniale et d’écrire l’histoire du pays. Soixante ans plus tard, les lieux illustrent l’abandon de toute politique mémorielle dans ce pays où les priorités sont ailleurs.

« On célèbre l’indépendance deux fois par an, on dépose une gerbe sur le monument Boganda, mais c’est à peu près tout, constate Bernard Simiti, historien et ancien ministre de l’enseignement supérieur. Il n’y a pas de continuité. Chaque nouveau régime veut effacer les traces du précédent. »

La villa de Bokassa à Petevo ? Détruite. Le palais de Bérengo ? Un camp militaire géré par les Russes. Au centre-ville, les maisons coloniales délabrées du camp Fidèle-Obrou laissent place à un centre administratif flambant neuf. Elles faisaient pourtant parti du bâti colonial de Bangui, inscrit sur la liste indicative de l’Unesco, antichambre du patrimoine mondial. Un regret pour Georges Davy Touckia, chargé de mission et des arts au ministère de la culture, qui a bien envoyé une note en conseil des ministres, mais a « perdu l’arbitrage ».

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Le ministère dispose d’un poids politique assez faible pour connaître une valse des titulaires et que les dossiers concernant le patrimoine avancent difficilement. « Nous avons peut-être oublié que la République doit avoir une mémoire, avance Georges Davy Touckia. Par exemple, nous avons créé juridiquement une bibliothèque nationale, pour conserver les archives. C’était il y a vingt ans. Mais elle n’est toujours pas construite. »

Bernard Simiti regrette aussi « le peu de place » que prend l’histoire centrafricaine dans les manuels scolaires. Une gageure quand l’analphabétisme touche près de la moitié de la population. Et pourtant, si l’on veut que l’histoire ne balbutie pas, l’enjeu est grand. « Les événements étaient en partie liés au fait que beaucoup de Centrafricains voyaient les musulmans comme des étrangers. Or, la communauté est présente dans le pays depuis ses origines. Mais cela n’est pas enseigné », précise-t-il.

Poursuivre malgré l’insécurité

Le déficit de mémoire alimente les crises sécuritaires qui, elles-mêmes, menacent la discipline. Quand le secrétaire général de l’université de Bangui se plonge dans ses souvenirs d’étudiant en histoire dans les années 1980, il se rappelle que « dès la deuxième année, on nous envoyait faire des recherches en province. » « Ce n’est plus possible aujourd’hui, ajoute Jean Kokidé. Alors les travaux se concentrent désormais sur les ONG et les institutions internationales, parce que réalisables à Bangui. »

Le centre d’archéologie et d’histoire voisin, le Curdhaca, a lui aussi vu son domaine de recherche se rétrécir dès 2003, à mesure que les rebellions s’intensifiaient dans le pays. Pire, il a perdu par deux fois ses locaux, pillés et détruits, avec pièces et archives, lors des mutineries de 1996, puis à l’arrivée de la Séléka en 2013. La dizaine de chercheurs est depuis logée dans une annexe exiguë de l’université, sans crédit de recherche.

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Et, pourtant, tous continuent. Abel Kotton planche sur un dépliant de promotion à distribuer dans les hôtels. L’université projette de s’appuyer sur les affectations des futurs enseignants en province pour récolter des informations sur les troubles qu’a connus le pays depuis 2003. Les archéologues du Curdhaca se cotisent pour ratisser les alentours de Bangui. Ils sont parvenus, il y a deux ans, à aller à Carnot, à 400 kilomètres à l’ouest, grâce à un financement de l’Unesco.

« Si on ne continue pas, qui d’autre le fera ? », rétorque le directeur de recherche du Curdhaca, Xavier Milenge. Blaise Yandji, son supérieur, approuve : « On existe depuis 1989, mais on commence à peine à défricher. On a découvert des traces de civilisations remontant au paléolithique. Nous montrons aux générations futures que notre pays n’était pas un espace vide avant l’arrivée des colons. On doit continuer à réécrire notre histoire. »

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LA REDACTION