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Sankofa, l’oiseau akan, avance la tête, répondant à l’appel du futur, le regard tourné vers le passé. Symbole de la sagesse et de la connaissance, il rappelle aux humains qu’ils ne sauraient bâtir un avenir stable s’ils ignorent leur histoire. Les griots l’ont bien compris, qui ont fait de la mémoire le nœud de leur art. Et Hassane Kassi Kouyaté, fils du grand Sotigui Kouyaté, l’acteur fétiche de Peter Brook, en est convaincu : son théâtre se doit d’être une parole qui questionne l’histoire, les histoires, celles des nations et celles des femmes et des hommes.
Pour le temps fort du festival des Francophonies de Limoges, les Zébrures d’automne (du 23 septembre au 3 octobre), le Burkinabé met en scène Congo Jazz Band, une pièce qu’il a créée avec l’auteur algérien Mohamed Kacimi à partir de la somme de David Van Reybrouck Congo. Une histoire (Actes Sud, 2012), qui met en lumière les mécanismes de la colonisation en Afrique.
« Je suis griot, rappelle-t-il entre deux répétitions à Bordeaux. L’histoire est très importante pour moi, si l’on veut comprendre notre présent. Or aujourd’hui, avec les nouveaux outils que nous avons, il n’y a plus que du sensationnel, qui occulte le passé. Et pourtant, avec ces smartphones qu’on consulte sans cesse à table au lieu de converser avec nos convives et avec lesquels on photographie nos plats, on a tous un bout du Congo dans notre poche [à travers les minerais, comme le coltan, utilisés pour leur fabrication]. » Et d’ajouter :
« Je n’ai rien contre le théâtre de divertissement – j’aime me divertir. Mais aujourd’hui, il y a un besoin urgent de lutter contre l’ignorance pour mieux connaître l’autre. C’est là l’une des missions des Francophonies. Je veux en faire un lieu où l’on discute le monde autrement. »
Une programmation tournée vers l’Afrique
Le fondateur du festival de contes Yeleen, organisé par la Maison de la parole qu’il a créée à Bobo-Dioulasso (où il est né en 1964) pour valoriser les arts du récit et de la littérature orale, a été nommé directeur des Francophonies en 2019. Il propose cette année sa première programmation complète – la précédente était déjà largement engagée quand il a débarqué de Martinique, où il dirigeait depuis 2014 la scène nationale Tropiques Atrium, à Fort-de-France. La part belle est faite aux créations africaines, avec des spectacles venant d’une douzaine de pays du continent.
Est-ce à dire que la francophonie est avant tout africaine ? « L’Afrique est en effet au cœur de la francophonie. Du fait de son histoire : politiquement, elle est née au Niger en 1970 [avec la création de l’Agence de coopération culturelle et technique, ancêtre de l’Organisation internationale de la Francophonie]. Et du fait de son poids démographique. Mais cela correspondait aussi à la saison “Africa 2020” qui aurait dû avoir lieu cette année. » Les prochaines éditions seront consacrées successivement à l’Asie et au Moyen-Orient, aux Outre-Mers et, en 2023, au Canada francophone, à la Wallonie et à la Suisse romande.
« Il n’y a pas une francophonie, mais une pluralité de situations. C’est pour ça que je préfère parler des francophonies. Ce qui m’intéresse, ce sont les francophonies non pas politiques et politiciennes, mais celles qui existent par la création et qui travaillent le français. Soit qu’elles soient écrites en français mais teintées d’une autre langue, soit qu’elles soient écrites dans une langue étrangère qui, elle, est influencée par le français. Même en France, il y a des langues régionales, comme le créole. Le nier, ce serait appauvrir le français en France. »
Du cirque, des marionnettes et du cinéma
Souhaitant mettre l’accent sur la multiplicité des écrits, Hassane Kouyaté a ouvert le festival – qui proposait déjà, en plus du théâtre, de la danse et de la musique – au cirque, aux marionnettes et au cinéma. Et il a doublé la manifestation d’un temps fort, au printemps, qui valorisera l’écriture. En proposant des Zébrures d’automne consacrées essentiellement au spectacle vivant et au cinéma et des Zébrures du printemps au travail d’écriture, Hassane Kouyaté entend faire des Francophonies un lieu de découverte et de création en renforçant notamment les résidences d’écriture et un centre de réflexion et de formation.
« La francophonie est tout sauf un ghetto, comme on veut parfois le faire croire. Elle est riche, variée et elle a besoin d’une expertise spécifique. La francophonie libanaise n’est pas celle de Pondichéry ni celle du Mali. On ne peut les aborder sans connaître la géopolitique, l’histoire, la culture des territoires et l’histoire de la création au sein de ces territoires. »
Le festival limougeaud a joué un rôle important pour la reconnaissance internationale de nombreux artistes africains comme Dieudonné Niangouna, Koffi Kwahulé ou Souleymane Koly. Sans oublier Sony Labou Tansi, auteur de La Vie et demie en 1979, dont le fonds d’archives est conservé à la bibliothèque francophone multimédia de la ville. Selon Hassane Kouyaté, « la très grande majorité des artistes africains francophones programmés en France sont venus des Francophonies ou du Tarmac [à Paris], qui a été fermé en 2019. Dans ce contexte, notre rôle est crucial. »
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