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Un air de piano envahit la cour, échappé d’une chambre d’artistes. Il fait doux sur Paris ce matin de septembre et Yaya Diomandé savoure sa présence ici comme un gourmet goûte un dessert. Il sait la Seine à deux pas de sa Cité internationale des arts, la cathédrale Notre-Dame qui veille sur la ville, comme tous les trésors architecturaux du Marais qu’il se tort le cou pour embrasser d’un regard dès qu’il sort dans le quartier. Mais malgré tout, il peine encore à y croire.

Se retrouver bengue, alors que la vie l’avait jusque-là oublié dans les tréfonds d’Abidjan n’est pas un petit bouleversement. Dans la capitale économique ivoirienne, bengue est le terme consacré pour dire qu’on est passé au nord, au pays des Blancs. Ce voyage vers l’eldorado était le rêve de Koné Moussa, le héros imaginé par Yaya Diomandé, et c’est cet être de papier, personnage principal d’Abobo Marley, son premier roman, qui lui a permis de se retrouver là, premier lauréat du tout jeune prix panafricain Voix d’Afriques.

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Yaya Diomandé, 30 ans, multidiplômé sans emploi, condamné aux petits boulots pour aider sa famille, a travaillé cinq ans sur son Abobo Marley. Les aventures de Koné Moussa, il les a rêvées avant de les écrire sur son téléphone portable, entre deux chargements de cargaisons dans le port d’Abidjan. Après sa journée, il sortait son grand cahier à spirale pour recopier son texte quotidien.

« A la fin, je suis allé dans un cybercafé pour taper le texte, avant qu’un ami me prête son ordinateur pour une semaine. A ce moment-là, j’ai travaillé presque jour et nuit pour tout écrire. C’était long, mais j’améliorais mon écriture en recopiant une nouvelle fois », sourit timidement le jeune homme.

« Persévérance »

Depuis son enfance, Yaya Diomandé aime les mots autant que les idées. Si, aujourd’hui, il dit adorer le terme « relativement » qui « permet de se cacher derrière pour nuancer un avis », son mot préféré en français reste « persévérance ». Quatre syllabes qui racontent plus qu’un long discours ce gamin né de parents pauvres vivotant du commerce de poissons et de légumes dans l’ouest du pays.

Très tôt, ce second d’une fratrie de cinq brille à l’école, persuadé que sa basse extraction sociale l’oblige à atteindre l’excellence s’il veut pouvoir prendre en main son destin. Il met la barre très haut dès le primaire et s’oblige à être le premier partout, à exceller en tout.

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Scientifique dans l’âme, amoureux des mathématiques, il décroche un bac littéraire alors qu’il est en classe de première S, pour gagner une année d’études. « Il me fallait aller vite car c’est mon frère aîné, Mamadou, qui payait pour ma scolarité. Et je souhaitais qu’il puisse financer les études de mes jeunes sœurs », explique-t-il, infiniment reconnaissant envers l’aîné qui s’est sacrifié pour la fratrie.

Durant ses années de collège et de lycée à Man, la ville montagneuse de l’ouest ivoirien, son appétit de lectures est comblé grâce à ses amitiés. Si lui n’a aucun livre, ni d’argent pour s’en procurer, l’école catholique voisine, elle, dispose d’une bibliothèque où ses amis empruntent pour lui les ouvrages qui le construisent un à un. Il découvre alors les écrits d’Amadou Hampâté Bâ ou les romans d’Ahmadou Kourouma.

Un brin révolté contre l’ordre ivoirien

C’est là aussi qu’il lit et relit Prisonnier de Tombalbaye, du Tchadien Antoine Bangui-Rombaye qui, plus que d’autres, nourrit sa conscience politique en racontant le pouvoir et la disgrâce d’un ministre. Il est à ses yeux le livre sans lequel il n’aurait jamais donné vie à Koné Moussa, son jeune héros, un brin révolté contre l’ordre ivoirien.

Sans le prix Voix d’Afriques, mis en place par les éditions JC Lattès et RFI, Koné Moussa serait resté le héros silencieux d’un manuscrit resté au fond d’un tiroir. Tous les éditeurs ivoiriens le lui ont refusé, relate-t-il. Et « quand le manuscrit m’est revenu la dernière fois, j’ai pensé que je m’étais vraiment fourvoyé, que je n’étais pas fait pour l’écriture et n’avais pas le talent que je croyais avoir », se souvient-il. Alors c’est sans y croire vraiment qu’il postule sur la plate-forme ouverte par RFI pour ce prix du premier roman dont le jury est présidé par l’écrivain franco-djiboutien Abdourahman Waberi.

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L’idée a germé dans la tête d’Anne-Sophie Stéfanini, une amoureuse du continent, romancière, et directrice éditoriale chez JC Lattès. Elle rêvait de permettre à de jeunes talents africains de faire partager leur monde intérieur avec le lecteur français. Véronique Cardi, la présidente de la maison d’édition, s’est vite enthousiasmée de l’idée, comme RFI, où la journaliste littéraire Catherine Fruchon-Toussaint, productrice de l’émission Littérature sans frontières, s’est emparée du projet. Tout s’est enchaîné jusqu’au dépôt de 372 manuscrits de jeunes auteurs du continent africain de moins de 30 ans, n’ayant jamais publié et résidant en Afrique.

Dissiper le qualificatif de « maudit »

C’est dans le taxi qui l’amenait de l’aéroport à Paris que Yaya Diomandé a découvert, avec une infinie émotion, son livre enfin édité. « On arrivait à hauteur du Stade de France et j’ai pris entre mes mains cet ouvrage, me remémorant le chemin parcouru. Ce prix est une grande et belle chose qui me donne envie de continuer à écrire », résume-t-il pudiquement.

Mais lorsque le 4 avril, en plein confinement, il reçoit le courriel qui lui annonce la bonne nouvelle, ce n’est pas à sa revanche sur la vie qu’il pense d’emblée, mais à sa mère. « Chez nous, lorsqu’un fils rate sa vie, son déshonneur retentit sur toute la famille et c’était ce que j’imposais à mes parents depuis des années », poursuit celui qu’on moquait pour avoir de bien grands diplômes et de bien petits revenus.

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Etre célébré à Paris, interrogé sur RFI, va, espère-t-il plus que tout, redorer un peu le blason familial et dissiper le qualificatif de « maudit », qu’on lui collait pour signifier qu’il avait mal choisi sa voie. Et peut-être lui ouvrir des portes, et le chemin vers un vrai emploi.

A Abidjan qu’il a rejoint en 2008, Yaya vivotait depuis douze ans de petits boulots sans jamais trouver d’emploi stable à la hauteur de son master en droit privé ni même de ses deux BTS en finances comptabilité et logistique. Ce sont ses compétences en langues (anglais, espagnol, arabe et français) qui l’aident le mieux à survivre, notamment comme traducteur.

Une grande fresque abidjanaise

Mais dans ce pays où « les relations sont plus importantes que les diplômes », il n’est jamais parvenu à décrocher un emploi formel stable et vient de monter un site baptisé Investissements + d’actualité financière, espérant y attirer un peu de publicité.

Cette injustice est au cœur du roman Abobo Marley qui se lit comme une grande fresque abidjanaise. Dès la première page, on embarque dans les minibus qui sillonnent la ville. On croupit un temps dans une cellule de la maison d’arrêt, on traîne beaucoup sur le port que Yaya connaît comme sa poche. Et l’on a faim aussi, parfois, avec Koné Moussa, le petit héros qui se bat pour un jour offrir à sa mère le pèlerinage à La Mecque.

Si la vie de Yaya ressemble étrangement à celle de son jeune héros, c’est qu’Abobo Marley veut raconter tout ce qui ne tourne pas rond dans la société ivoirienne. « Qu’en 2021 les compétences et les talents ne pèsent rien par rapport aux relations et aux passe-droits me semble le premier mal de mon pays. Ce système casse l’espoir de trop de jeunes et les oblige à penser à bengue », résume l’écrivain, qui aimerait que son roman aide à cette prise de conscience. Car, par-delà le récit coloré de la vie et des rêves d’un gamin, Abobo Marley est un roman social qui met à jour des ressorts invisibles à l’œil nu, les dénonce, « pour que mûrisse la prise de conscience ».

Si l’écrivain doute que l’élection présidentielle du 31 octobre résoudra les problèmes de son pays, il reste persuadé que son continent avance. « La solution viendra par l’éducation, qui seule permet de remettre en cause l’ordre établi », plaide-t-il. « Lorsque assez de jeunes seront bien éduqués, le rapport de force changera », parie-t-il.

En attendant, Yaya Diomandé profite de son séjour en tant que bengue, offert par la Cité internationale des arts. Il veut faire des rencontres, se nourrir du regard d’autres artistes et travaille déjà à son second roman. Bien sûr, il fera aussi la traditionnelle photo près la tour Eiffel et sur les Champs-Elysées. Même si, lui, c’est plutôt l’Elysée, Matignon et l’Assemblée nationale qu’il a envie de voir, ces lieux qui comptent aussi dans l’histoire de son pays.

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LA REDACTION