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Certains le surnomment « le musée ». D’autres, « le dernier temple ». Les mélomanes l’appellent affectueusement « le conservatoire ». Situé dans un repli du quartier Deido de Douala, la capitale économique du Cameroun, le Disco Saint Paul est pour tous l’écrin poussiéreux d’un « véritable trésor » : près de 5 000 vinyles originaux d’artistes camerounais, africains, français, américains et même suédois sont entassés là. « La bonne, originale et parfaite musique », crâne Paul Ntchagna, le disquaire qui commercialise ces 33 et ces 45 tours depuis près de trente ans.

L’homme, quinquagénaire affable et père de trois enfants, appartient, comme ses précieuses galettes, à une espèce en voie de disparition. « Plus de 95 % de mes collègues ont abandonné le métier », confie-t-il en se levant pour faire la visite. Au mur, enveloppés dans des pochettes jaunies ou aux extrémités mangées par les charançons, des centaines de disques tiennent sur des étagères grâce à des ficelles. A l’angle, tout au fond, est posé un sac contenant des cassettes originales. Sur la grande table, trois platines vinyles entassées les unes sur les autres.

Parfaitement à son aise dans ce désordre, Paul Ntchanga connaît l’emplacement exact de chaque artiste, surtout ses préférés : François Misse Ngoh, virtuose du makossa, l’un des rythmes de la musique camerounaise ; Kotti François qui célébrera en 2021 ses cinquante ans de carrière ; ou encore le Français Claude François et le groupe de pop suédois Abba.

Pour se remémorer « la belle époque », celle des ventes « colossales » et « des rangs » devant la boutique, le disquaire ferme brièvement les yeux. « Grâce à tout cela, précise-t-il, j’ai construit une maison en étage. Je vis au rez-de-chaussée et les locataires occupent le haut. J’ai un champ de deux hectares. Je prends soin de ma famille. Je ne peux vous mentir, cette activité de disquaire m’a tout donné. »

Une référence dans le quartier

Tout a commencé dans les années 1980 quand Paul Ntchagna a ouvert, avec un ami, une première boutique. Au début, l’électricien de formation ne peut s’y rendre qu’après le travail, les week-ends et les jours fériés. Mais, au fil des mois, les ventes s’envolent. Laissant son « misérable » salaire derrière lui, Paul démissionne, devient disquaire à plein temps, tandis que son ami se lance dans la conduite de taxi.

Lors des sorties d’albums de makossa ou bikussi, quelques-uns des rythmes phares de l’époque, les fans prennent d’assaut le Disco Saint Paul. Les vinyles, qui coûtent entre 3 500 et 7 000 francs CFA (entre 5 et 10 euros), s’arrachent comme de petits pains. Certains jours, les recettes dépassent 50 000 francs CFA (76 euros).

Très vite, Paul Ntchagna devient une référence dans le quartier. Il est sollicité pour les animations sonores des mariages, anniversaires et autres cérémonies, ce qui gonfle son chiffre d’affaires. Il conçoit également des playlists à la demande des clients, qu’il grave sur cassette.

« Il y avait des cassettes originales d’artistes que je vendais à 1 500 francs CFA, précise le commerçant. Mais certaines personnes voulaient des chansons de plusieurs musiciens et je les mettais sur cassette vierge. C’était une époque formidable ». Jusqu’à l’avènement du compact disk (CD) dans les années 2000… Les clients, alors, sont accostés dans leurs domiciles et lieux de travail par des marchands ambulants qui sillonnent les villes pour vendre des CD piratés. Puis YouTube et les plates-formes de streaming ont débarqué. Une « maudite modernité qui mange tout sur son chemin », enrage le disquaire.

Bichonner « son trésor »

Aujourd’hui, le prix minimum d’un disque est de 2 000 francs CFA. Quelques rares fois, des producteurs étrangers commandent une pièce. Mais Paul Ntchagna peine à faire des recettes de 5 000 francs CFA par semaine. Ce n’est pas assez pour le maintenir à flot. Mais le disquaire n’arrive pas à passer à autre chose. Pour lui, les vinyles sont un « héritage » à transmettre à la jeune génération. « C’est le boulot acharné d’excellents artistes qui travaillaient pendant cinq ans voire plus avant de sortir un album », explique celui qui se considère un peu comme un « gardien » de ces œuvres.

En avril, l’artiste camerounaise Lolo est morte en Suisse où elle vivait depuis de nombreuses années. Sa famille, n’ayant plus ses chansons, s’est tournée vers le disquaire. Paul Ntchagna a refusé de leur vendre l’unique album qui lui restait, mais « je leur ai fait une copie sur CD, précise-t-il. L’original est pour la postérité ». Sa boutique est d’ailleurs « le repère » de Gabo Gabo, musicien et frère cadet de Lolo qui y vient pour « écouter et s’inspirer des aînés ».

Selon l’artiste Kotti François, si le fait de graver les contenus des vinyles sur CD ou autres supports numériques est « une forme de piraterie » musicale, Paul Ntchagna donne la possibilité aux Camerounais d’écouter la musique qui a bercé leurs parents et grands-parents, « telle qu’elle avait été créée par ses auteurs ». « C’est cette sensibilité qui m’a amené à rentrer dans la discothèque », avoue au Monde Afrique le musicien.

En attendant de passer la main, Paul Ntchagna bichonne comme il peut « son trésor ». Dans des bassines remplies d’eau et de détergents, il plonge les vinyles qu’il lave à l’aide d’une petite mousse. Il évite surtout de les exposer à la chaleur. Car, « bien entretenu, les 33 et 45 tours sont impérissables ».

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LA REDACTION