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Elle est devenue la meilleure avocate des cuisines africaines. Pourtant, quand Anto Cocagne nous accueille chez elle, en banlieue parisienne, c’est sans chichis. « La cuisine c’est mon territoire ! Ici personne n’a le droit d’y entrer si j’y suis », annonce d’emblée la jeune femme au regard pétillant et au sourire framboise assorti au mobilier.

« J’ai voulu vous faire quelque chose de surprenant », explique-t-elle en préambule de son cours de cuisine : « Culturellement, les desserts ne font pas partie de notre patrimoine, mais j’essaie d’en créer avec des produits de chez nous. » Résultat : un pain perdu mbouraké (crumble cru à base de chapelure de pain, de pâte d’arachide et de sucre), une crème brûlée au baobab, des poires « Belle-Hawa », version africaine de la poire Belle-Hélène… Faire une place à la pâtisserie dans la gastronomie africaine, voilà une mission, parmi d’autres, qui passionne « chef Anto ».

En vidéo Dans la cuisine d’Anto Cocagne : « Les produits africains sont sous-estimés »

Cuisinière panafricaine et militante, la cheffe franco-gabonaise de 38 ans est une hyperactive quand il s’agit de défendre les cuisines du continent. « L’Afrique est le dernier continent à découvrir en termes de gastronomie et je pense que son temps est venu. » Quand elle n’officie pas dans les cuisines parisiennes pour son activité de traiteur à domicile, Anto Cocagne est multi-toques : elle jongle entre la direction artistique du magazine Afro Cooking, la présentation d’une émission culinaire sur Canal+ (« Rendez-vous avec le chef Anto ») et la production de tutoriels sur YouTube.

« J’entendais sans cesse que la cuisine africaine était trop grasse, trop épicée. Je voulais montrer que ce n’étaient que des préjugés, que notre cuisine est noble. Nous proposions, bien avant la tendance, des recettes vegan et végétariennes. Et de nombreux produits de base, comme le mil, le fonio et le sorgho, sont des “smart food”, des aliments bons pour la santé, pour la planète et pour les producteurs, car très rentables avec peu d’eau », argumente-t-elle.

L’afrofusion, « une tendance marketing »

Pourtant, rien ni personne n’a poussé Antompindi Cocagne à prendre ce poste d’ambassadrice. Surtout pas son père, ingénieur des Mines. « Il voyait la cuisine comme une voie de garage pour ceux qui étaient en échec scolaire », raconte-t-elle. C’est sa mère qui a plaidé pour elle, convaincue qu’elle pourrait « finir, au pire, cuisinière à la présidence ». « A 14 ans, je vendais des pâtisseries dans mon école et pour des mariages. On m’appelait “maman gâteau” ! »

A 20 ans, elle s’envole pour Grenoble, en France, pour suivre un BTS à l’école hôtelière Lesdiguières. Puis, à Paris, elle se forme à la gastronomie française à la prestigieuse école Ferrandi. Ses classes, elle les fait auprès de chefs renommés tels qu’Alain Hascoët à l’InterContinental Carlton de Cannes, Eric Pras à l’hôtel Souleias de La Croix-Valmer, ou encore auprès de grands traiteurs comme Potel & Chabot et Lenôtre.

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Mais c’est en cavalier seul qu’elle décide de poursuivre son chemin, animée par le désir de revisiter les plats de son enfance. « Ma cuisine est traditionnelle, mais je travaille nos produits de façon moderne et en m’inspirant de ce que j’ai appris auprès des chefs français », au risque de choquer les anciens. « Pourquoi les beignets devraient-ils toujours être ronds ? », plaisante la cheffe, qui a fait ses adieux aux plats mijotés pendant des heures pour créer des assiettes colorées et légères.

De la récréation, donc, mais pas d’afrofusion, « une tendance marketing qui ne [l]’enthousiasme pas ». « Trop de fusion crée la confusion. Les cuisines africaines ne sont pas encore assez connues pour être mélangées », analyse Anto Cocagne, qui a été choisie comme ambassadrice de la Semaine du goût, du 12 au 18 octobre. Elle est aussi à l’initiative du festival We Eat Africa, dont l’édition 2020, initialement prévue à Lomé et à Paris, a dû être annulée en raison de la crise sanitaire.

Un livre de recettes et d’entretiens

« Je me suis rendu compte que les chefs et les professionnels des cuisines africaines étaient invisibles à Paris », dit-elle. Mais si figurer au Gault & Millau est le rêve de tout chef, pour Anto Cocagne, lauréate du prix spécial Eugénie-Brazier du concours 100 % féminin La Cuillère d’or en 2018, c’est loin d’être une fin en soi. L’entrepreneuriat s’est imposé à elle en 2014, alors qu’elle attendait son premier enfant. « Je voulais être une maman présente et je n’avais pas les moyens d’ouvrir un restaurant. Je me suis lancée dans l’activité de traiteur à domicile et, à l’époque, j’étais la seule à proposer des prestations de cuisines d’Afrique subsaharienne. »

Elle découvre alors qu’au-delà de la cuisine, elle aime le contact avec les clients : « Il y a une vraie mission de pédagogie que je ne pourrais pas remplir dans un établissement. » Elle doit parfois adapter ses recettes pour plaire aux palais parisiens : « Petite, je mangeais de la soupe de taro [un tubercule], mais on m’a fait comprendre qu’en France on préférait les veloutés, sans morceaux ! » Et veut moderniser les pratiques culinaires du continent : « Je rêve que les restaurants africains proposent des desserts autres que le fraisier ou le fondant au chocolat ! Nous avons une quantité de fruits inexploités, comme le pain de singe [fruit du baobab] ou le zaaban [fruit issu du Saba senegalensis] ou des noisettes typiques de chez nous. »

Transmettre, moderniser et faire connaître : c’est le credo de la cheffe, qui a signé un livre haut en couleur de recettes et d’entretiens, Goûts d’Afrique (Mango Editions, 2019). « La cuisine dévoile un pan de la culture d’un peuple et ce genre de publication peut donner envie aux lecteurs de prendre un billet pour venir découvrir l’Afrique. » Un continent qui regorge de recettes savoureuses méconnues et d’ingrédients sous-exploités ; un véritable « pays de cocagne » en somme.

Sommaire de la série « L’Afrique a du goût »

Saveurs pimentées, parfums fleuris ou adoucis par un passage en friture, les arts culinaires africains racontent des territoires, des coutumes et une certaine philosophie de la vie. En France, quelques plats sont à la mode, qui régalent les aventuriers du goût. Du yassa au mafé en passant par le thiep au poulet, quelques plats ont déjà laissé leur empreinte sur les palais, servis dans des restaurants qui affichent leur africanité sans préciser de quelle région du continent ils s’inspirent.

Et pourtant, un monde sépare les pâtisseries égyptiennes du fetira éthiopien. Car chaque plat, chaque dessert raconte à lui seul une histoire, un rapport à la terre, aux ancêtres, au climat aussi. C’est pour ouvrir sur ces horizons encore trop méconnus, pour goûter et regarder l’Afrique autrement, que Le Monde Afrique vous offre en guise de série d’été un voyage au cœur de quelques spécialités qu’on ne goûte pas forcément ici, une visite dans les cuisines d’un chef emblématique ou dans un restaurant qu’on ne rate pas.

L’Afrique a du goût et, comme le rappelait le géographe français Jean Brunhes (1869-1930), « manger, c’est incorporer un territoire ».

Episode 1 Dieuveil Malonga, explorateur de la cuisine afro-fusion à Kigali
Episode 2 Sur le pouce ou sur un plateau, la « garantita » fait de la résistance en Algérie
Episode 3 Au Ghana, Selassie Atadika au plus près des saveurs locales
Episode 3 Au Burkina, les chenilles « chitoumou » se dégustent bien grillées
Episode 4 Au Cameroun, « Haira » met les petits plats dans les grandes feuilles
Episode 5 A Madagascar, le chef « Lalaina » cuisine en toute transparence
Episode 6 « Iba », le youtubeur culinaire qui revisite les spécialités sénégalaises
Episode 7 Au Cameroun, la recette du « mbongo » se transmet de mère en fille
Episode 8 Le « braai », plat national chahuté en Afrique du Sud
Episode 9 Au Burkina Faso, le « poulet bicyclette » à toutes les sauces
Episode 10 La saga « Gastro Pizza » à Madagascar, d’une cabane en bois à un empire du fast-food
Episode 11 Anto Cocagne, ambassadrice hyperactive des cuisines d’Afrique
En vidéo Dans la cuisine d’Anto Cocagne : « Les produits africains sont sous-estimés »

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LA REDACTION