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Perché sur ses longues pattes, il « pédale » fièrement à chaque coin de rue, piaille chez les voisins… avant de passer au grill tous les soirs dans les « maquis » ou bars-restaurants du Burkina Faso. Le « poulet bicyclette », comme on appelle cette race locale élevée en plein air, rythme la vie des Burkinabés. La légende veut qu’on l’ait baptisé ainsi à cause de sa drôle de démarche de coureur cycliste, cavalant du matin au soir en quête de nourriture. Pour d’autres, ce serait plutôt en référence aux vendeurs qui se déplacent des campagnes aux marchés en vélo ou en moto, avec parfois une vingtaine de volailles accrochées au guidon et au porte-bagages.

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Si l’origine de cette race à la chair ferme consommée dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest reste incertaine, au Burkina Faso une chose est sûre : le poulet est roi. Avec 38 millions de têtes élevées en 2018, les gallinacés sont presque deux fois plus nombreux que les habitants de ce pays enclavé du Sahel. Impossible de sillonner les « six-mètres » de Ouagadougou (les pistes en latérite) sans qu’une odeur alléchante de grillade vous chatouille le nez, à toute heure de la journée. Flambé, sauté, à l’ail, au rabilé (levure de bière de mil) ou encore « télévisé » lorsqu’il est cuit à la broche dans une rôtissoire : chaque maquis a sa spécialité.

« Mes volailles ont grandi au village »

Chez Omar Guigma, on le prépare « façon traditionnelle ». « Un peu d’huile, du sel et c’est tout », glisse le boucher, le front dégoulinant, en jetant un poulet découpé en crapaudine sur le feu dans un « pschitt » appétissant. Trois troncs d’arbre, des karités, brûlent sous une grille et parfument la chair d’un bon goût de feu de bois. Pour les gourmets, il ajoutera un soupçon de marinade à l’ail. « C’est le meilleur poulet de Ouaga ! » clame Salif Kaboré, son frère couturier. A 19 heures, les clients se pressent déjà à son stand, au milieu d’un terrain vague du quartier Sanyiri. « Certains font parfois plus de 20 km », s’amuse Omar Guigma, qui vend une soixantaine de volailles par soir. Entre 3 500 et 4 000 francs CFA pièce (de 5,30 à 6,10 euros), selon la taille.

A Ouagadougou, on en consomme près de 60 000 chaque jour et jusqu’à 100 000 les jours de fête. A côté du stand d’Omar Guigma, la bière locale coule à flots. Assis à des tables, des clients salivent à l’arrivée des premiers plats fumants. Manches retroussées et lavage de mains obligatoire, car ici on mange avec les doigts, « sans protocole », selon l’expression locale. « Vous êtes invitée ! », insiste un client, les mains plongées dans la même assiette que ses amis. Car un poulet, ça se partage. « C’est un symbole de solidarité », explique un autre. Derrière, Aïcha Diakité attend son ami, mais le plat refroidit. Tant pis, elle commencera sans lui. « Je ne mange que le “bicyclette”, c’est meilleur au goût et c’est bio », assure la jeune femme.

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Pour Omar Guigma, hors de question de cuisiner des poulets surgelés importés, comme le font certains vendeurs de rue. « Trop fades, rétorque ce passionné qui comptabilise trente-trois ans de métier. Mes volailles ont grandi au village, elles ont couru toute leur vie en pleine nature, c’est pour ça qu’elles sont si savoureuses. » Au Burkina Faso, le « poulet bicyclette » est une fierté nationale, l’anti-modèle de ses cousins d’Occident élevés en batterie, certes plus charnus et productifs mais souvent dopés aux hormones ou aux antibiotiques. Alors pour faire face à la concurrence étrangère et à la demande toujours croissante, les initiatives se multiplient pour booster la production locale.

« Si la fille mange le cul, c’est gagné »

Dans les villages, le poulet a une fonction économique importante. Et rend même les femmes plus résilientes, selon l’anthropologue Batamaka Somé. « C’est une carte de crédit en cas de besoin urgent. Pour acheter des médicaments, par exemple, il suffit d’en vendre un ou deux », explique le chercheur. En zone rurale, le statut social se mesure souvent à la taille du cheptel.

Plus qu’un simple plat, partager un poulet est un art renouvelé de la tradition, régi par certaines règles bien définies. Chaque membre de la famille a sa partie réservée. Gare à celui qui touchera aux cuisses, au gésier et au foie, réservés au patriarche ! La femme héritera du dos, plus gras, et les enfants devront se contenter de la tête et des pattes. Une éducation à la modération et à la patience, en somme. En revanche, lorsque la volaille se déguste en tête-à-tête lors d’un rendez-vous galant, le choix des morceaux devient un véritable jeu de séduction. « On dit que si la fille mange le cul du poulet, qu’on appelle ici le “logn-gaandé”, c’est gagné pour son prétendant ! », explique Aïcha Diakité en riant. Et pour cause : l’expression signifie littéralement « viens te coucher ».

Au Burkina, le gallinacé musclé est de toutes les cérémonies, des mariages aux baptêmes en passant par les funérailles. C’est aussi un instrument diplomatique, offert comme cadeau de bienvenue par le chef de village à un visiteur étranger, en guise de dot lors des mariages ou comme compensation morale en cas de litige. « Il maintient l’ordre et la sécurité », argue le conteur burkinabé KPG, qui a consacré une chanson au poulet de Ouaga. Chez les animistes, il sert même d’objet de sacrifice lors de rites mystiques, en cas de maladie, de problème d’argent ou de grossesse difficile. Symbole de paix, d’amitié, de fertilité… Pour Batamaka Somé, le poulet « c’est la vie ! » : « Il est présent de la naissance à la mort, en passant par tous les événements heureux et malheureux de notre existence. » Une sorte de « martyr » ? « Oui, mais au service des hommes ! », clame ce mangeur de poulet invétéré.

Sommaire de la série « L’Afrique a du goût »

Saveurs pimentées, parfums fleuris ou adoucis par un passage en friture, les arts culinaires africains racontent des territoires, des coutumes et une certaine philosophie de la vie. En France, quelques plats sont à la mode, qui régalent les aventuriers du goût. Du yassa au mafé en passant par le thiep au poulet, quelques plats ont déjà laissé leur empreinte sur les palais, servis dans des restaurants qui affichent leur africanité sans préciser de quelle région du continent ils s’inspirent.

Et pourtant, un monde sépare les pâtisseries égyptiennes du fetira éthiopien. Car chaque plat, chaque dessert raconte à lui seul une histoire, un rapport à la terre, aux ancêtres, au climat aussi. C’est pour ouvrir sur ces horizons encore trop méconnus, pour goûter et regarder l’Afrique autrement, que Le Monde Afrique vous offre en guise de série d’été un voyage au cœur de quelques spécialités qu’on ne goûte pas forcément ici, une visite dans les cuisines d’un chef emblématique ou dans un restaurant qu’on ne rate pas.

L’Afrique a du goût et, comme le rappelait le géographe français Jean Brunhes (1869-1930), « manger, c’est incorporer un territoire ».

Episode 1 Dieuveil Malonga, explorateur de la cuisine afro-fusion à Kigali
Episode 2 Sur le pouce ou sur un plateau, la « garantita » fait de la résistance en Algérie
Episode 3 Au Ghana, Selassie Atadika au plus près des saveurs locales
Episode 3 Au Burkina, les chenilles « chitoumou » se dégustent bien grillées
Episode 4 Au Cameroun, « Haira » met les petits plats dans les grandes feuilles
Episode 5 A Madagascar, le chef « Lalaina » cuisine en toute transparence
Episode 6 « Iba », le youtubeur culinaire qui revisite les spécialités sénégalaises
Episode 7 Au Cameroun, la recette du « mbongo » se transmet de mère en fille
Episode 8 Le « braai », plat national chahuté en Afrique du Sud
Episode 9 Au Burkina Faso, le « poulet bicyclette » à toutes les sauces

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LA REDACTION