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Oubliés la banane plantain, le poulet mafé et les autres plats en sauce. En Afrique du Sud, la vraie star est la viande grillée. De préférence grasse et juteuse, dégustée en famille ou entre amis autour d’un feu. Le commun des mortels serait tenté de désigner la pratique sous le nom de « barbecue ». Ce serait une erreur. Totem national, le braai – prononcez « braay » en insistant sur le « a » sous peine d’être incompris – est une institution plus qu’un mode de cuisson.

Ce mot, venu de l’afrikaans (un dérivé du néerlandais), est l’un des premiers à résonner aux oreilles des étrangers de passage en Afrique du Sud. Pratiqué le week-end et plus largement dès que l’occasion se présente, le braai s’accompagne de quelques règles. D’abord, il faut un feu. Ensuite, un homme les bras chargés de steaks, de pièces de poulet, d’agneau ou de côtelettes de porc – les femmes s’occupant traditionnellement des salades et d’un porridge à base de farine de maïs appelé « mieliepap ».

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Techniquement, un seul combustible est autorisé : le bois. Utiliser du gaz ou du charbon, c’est tricher. « En réalité, le bois rassemble les plus aisés et les plus pauvres. Si les classes moyennes utilisent souvent du gaz parce que le règlement de leur immeuble leur interdit tout autre alternative, les habitants des townships, comme ceux qui possèdent une maison avec jardin, font du feu », relève Jan Scannell, expert en braai.

Une journée parrainée par Desmond Tutu

Cet ancien consultant de PricewaterhouseCoopers est surnommé « Jan Braai » depuis qu’il a lancé le National Braai Day en 2005, son idée étant d’inviter les Sud-Africains à se rassembler autour d’un braai tous les 24 septembre afin de célébrer leur identité. « Toutes nos fêtes sont religieuses ou politiques en Afrique du Sud, il n’existait aucune journée dédiée à la nation dans le sens positif du terme, comme Thanksgiving ou la Saint-Patrick », explique celui qui, depuis, parcourt l’Afrique du Sud pour parfaire sa connaissance de la grillade.

En 2007, son initiative prend de l’ampleur quand le Prix Nobel de la paix Desmond Tutu accepte d’en devenir le parrain, saluant le braai comme un symbole d’unité. « Nous avons onze langues officielles mais un seul mot pour la merveilleuse institution du braai, qu’on parle xhosa, anglais, afrikaans, peu importe », résume l’archevêque à la presse. Jan Scannell estime que 40 % des Sud-Africains se retrouvent désormais autour d’un braai le 24 septembre.

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Dans le quartier de Diepkloof, Homi’s Butchery est l’un des plus fameux braai de Soweto. Si on a tendance à se rassembler autour du feu dans le jardin familial du côté des banlieues ou dans les fermes, dans les townships la viande se déguste sur le mode du « buy and braai », des vendeurs de rue ou des boucheries la grillant à la demande, badigeonnée d’épices. Et si tout le monde comprend effectivement le mot « braai », les grillades y sont plus populaires sous leur nom zulu, « shisa nyama ».

Boucher depuis deux ans, Lenkoe Mofokeng ouvre des yeux ronds quand on lui parle du National Braai Day. Jamais entendu parler. « Ici, les gens connaissent mieux le 24 septembre sous le nom de Heritage Day. Pour nous, c’est le jour où tout le monde sort ses habits traditionnels », décrypte un client. De fait, le 24 septembre, jour férié depuis la fin de l’apartheid, n’a pas toujours été associé au braai.

« Notre patrimoine est réduit en cendres »

D’abord célébrée par les Zulu, qui l’appellent « Shaka Day » en hommage au grand roi Shaka décédé en 1828, la journée de commémoration est « oubliée » dans le calendrier des fêtes nationales de la nouvelle démocratie sud-africaine après la chute de l’apartheid. Et face aux protestations de l’Inkatha Freedom Party (IFP), un compromis est finalement trouvé. Il fait du Shaka Day le National Heritage Day, un jour férié destiné à célébrer la diversité de l’héritage de la « nation arc-en-ciel ».

Pour certains, la tentative de Jan Scannell de remplacer le National Heritage Day par le National Braai Day ressemble à un hold-up. « Notre patrimoine est réduit en cendres », écrit ainsi la militante Ayesha Fakie, alors membre de l’Institut pour la justice et la réconciliation, dans une tribune publiée par le Mail & Guardian en 2018. Pour elle, la tentative de résumer la célébration des identités sud-africaines au braai, pratique héritée de la culture blanche, « ne fait que perpétuer le sectarisme latent et l’oppression ».

« Quoi que vous fassiez, il y a toujours des gens pour critiquer, souffle Jan Scannell. Le principe de cette journée, c’est justement de ne pas faire de politique, juste de se retrouver autour d’un braai et de se dire qu’avec le temps, quelle que soit l’origine ou l’opinion de leurs parents, les enfants réaliseront qu’ils ont tous cette chose en commun. » A Diepkloof, qu’on parle d’Heritage Day ou de Braai Day, un point fait l’unanimité : « Tant qu’il y a de la viande et de l’alcool, vous trouverez toujours des gens pour se rassembler. »

Sommaire de la série « L’Afrique a du goût »

Saveurs pimentées, parfums fleuris ou adoucis par un passage en friture, les arts culinaires africains racontent des territoires, des coutumes et une certaine philosophie de la vie. En France, quelques plats sont à la mode, qui régalent les aventuriers du goût. Du yassa au mafé en passant par le thiep au poulet, quelques plats ont déjà laissé leur empreinte sur les palais, servis dans des restaurants qui affichent leur africanité sans préciser de quelle région du continent ils s’inspirent.

Et pourtant, un monde sépare les pâtisseries égyptiennes du fetira éthiopien. Car chaque plat, chaque dessert raconte à lui seul une histoire, un rapport à la terre, aux ancêtres, au climat aussi. C’est pour ouvrir sur ces horizons encore trop méconnus, pour goûter et regarder l’Afrique autrement, que Le Monde Afrique vous offre en guise de série d’été un voyage au cœur de quelques spécialités qu’on ne goûte pas forcément ici, une visite dans les cuisines d’un chef emblématique ou dans un restaurant qu’on ne rate pas.

L’Afrique a du goût et, comme le rappelait le géographe français Jean Brunhes (1869-1930), « manger, c’est incorporer un territoire ».

Episode 1 Dieuveil Malonga, explorateur de la cuisine afro-fusion à Kigali
Episode 2 Sur le pouce ou sur un plateau, la « garantita » fait de la résistance en Algérie
Episode 3 Au Ghana, Selassie Atadika au plus près des saveurs locales
Episode 3 Au Burkina, les chenilles « chitoumou » se dégustent bien grillées
Episode 4 Au Cameroun, « Haira » met les petits plats dans les grandes feuilles
Episode 5 A Madagascar, le chef « Lalaina » cuisine en toute transparence
Episode 6 « Iba », le youtubeur culinaire qui revisite les spécialités sénégalaises
Episode 7 Au Cameroun, la recette du « mbongo » se transmet de mère en fille
Episode 8 Le « braai », plat national controversé en Afrique du Sud

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LA REDACTION