[ad_1]

Etudiantes en philosophie, histoire ou littérature française à la faculté de Tunis, elles avaient entre 20 et 30 ans quand la répression s’est abattue sur elles. En 1974 et 1975, plusieurs militantes du mouvement intellectuel d’opposition Perspectives El Amal Ettounsi (« l’ouvrier tunisien »), né dans les milieux estudiantins de la fin des années 1950 en Tunisie, sont arrêtées et emprisonnées par la Direction de la sûreté intérieure (DST). Jugées lors de procès inéquitables, elles sont victimes de la répression menée contre la gauche par le président Habib Bourguiba (1957-1987), pourtant promoteur des droits des femmes et du modernisme.

Lire aussi En Tunisie, le palais de Bourguiba, un musée très politique

Pour la première fois, six de ces femmes ont couché sur papier leurs souvenirs de cette époque. Réunies au sein d’un atelier d’écriture initié en début d’année par Zeyneb Farhat, co-directrice du théâtre El Teatro à Tunis, elles font ressurgir tout un pan méconnu de l’histoire tunisienne dans un livre intitulé Bnat Essiassa (« les filles de la politique »), publié en juillet par l’association Zanoobya. Une version française doit sortir en septembre.

Pour Zeyneb Farhat, cet ouvrage s’inscrit dans la continuité de son engagement en faveur des droits des femmes au sein de l’Association tunisienne des femmes démocrates. La directrice d’El Teatro y tenait d’autant plus qu’elle fait partie de ceux qui n’ont pas oublié : élevée dans une famille d’opposants à Bourguiba, elle avait une sœur aînée engagée dans la mouvance démocratique. « Dès qu’une opposante était arrêtée, elle m’en parlait. Bien qu’encore jeune, j’étais très sensible à leur cause », raconte-t-elle.

« Nous imprimions des tracts chez Michel Foucault »

A l’époque, Habib Bourguiba, considéré comme le père de l’indépendance, a déjà consolidé son assise politique en multipliant les réformes. En 1957, il a introduit le Code du statut personnel, un corpus juridique progressiste pour les droits des femmes, avec notamment le droit de divorce et l’abolition de la polygamie. Deux ans plus tard, l’enseignement est modernisé, ainsi que le système de santé. Et en 1973, le droit à l’avortement est légalisé. Avant la France.

Pendant ce temps, Aïcha, Leïla, Dalila, Sassia, Amal et Zeineb terminent leurs études. Toutes issues de la première promotion de l’université tunisienne, certaines ont complété leur formation à la Sorbonne, où elles se sont frottées aux milieux maoïstes et marxistes-léninistes du mouvement de Mai 68 en France. « J’étais étudiante en philosophie et nous avions Michel Foucault comme enseignant, c’est même chez lui que nous imprimions certains tracts », témoigne Zeineb Ben Saïd Cherni, arrêtée à 24 ans pour avoir voulu plus de liberté d’expression et critiqué le pouvoir.

Lire aussi Tunisie : à Tataouine, la protestation se conjugue aussi au féminin

L’interdiction du Parti communiste tunisien et le durcissement du régime, dès les années 1960, vont déboucher sur des arrestations massives des militants du mouvement Perspectives, hommes et femmes confondus. Le procès « Amal Ettounsi », entre 1974 et 1975, voit la majorité d’entre eux condamné à des peines de deux à dix ans de prison pour « complot contre la sûreté de l’Etat » ou « diffusion de fausses informations ».

« On me frappait la plante des pieds avec du caoutchouc »

« Je me souviens de mon arrestation et de ce qu’on m’a infligé : on me frappait avec du caoutchouc sur la plante des pieds, la douleur était atroce », confie Zeineb Ben Saïd Cherni, qui, après la prison, a été radiée de l’enseignement supérieur pendant six ans. D’autres, en plus des sévices endurés, ont été victimes de harcèlement administratif et privées de leur passeport pendant plusieurs années. Encore traumatisées par ces souvenirs, certaines ont abandonné l’atelier d’écriture en cours de route.

Dirigé par l’écrivaine irakienne et militante des droits humains Haifa Zangana, elle-même ancienne détenue à la prison d’Abou Ghraib, près de Bagdad, pour avoir appartenu au Parti communiste, Bnat Essiassa permet de restaurer cette mémoire féminine longtemps éludée. « A l’époque, nous ne percevions pas notre engagement en termes de genre. Nous étions égales aux hommes dans l’opposition et la clandestinité. Puis, quand la gauche s’est effritée, nous sommes allées vers d’autres problématiques, comme la lutte pour le droit des femmes et le féminisme, en laissant de côté cette partie de notre histoire », analyse l’historienne Leïla Temim, incarcérée un temps dans la prison pour femmes de la Manouba.

Pour Aïcha Guellouz Ben Mansour, 68 ans, qui a passé un an de sa vie dans la clandestinité puis en prison, ce livre trouve sa place dans les débats qui ont suivi la révolution de 2011, autour de la justice transitionnelle qui a permis aux « perspectivistes » de déposer plainte contre l’Etat et leurs tortionnaires. « C’était très difficile de ressortir certains souvenirs encore enfouis, mais il est important de montrer que la répression n’a pas visé que les islamistes et que la tentation autoritaire débouche toujours sur une forme de répression », estime la militante.

[ad_2]

Lien de l’article original

LA REDACTION