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C’est une toute petite boutique du quartier El Madania, à Alger, coincée entre une bijouterie, un local au rideau baissé et un marchand de fruits et légumes. L’écriteau en arabe annonce « fast-food ». Derrière le comptoir vitré, deux grands plats de métal et des baguettes de pain coupées en morceaux. Il est presque midi lorsqu’un client habillé d’un polo noir arrive : « Un sandwich de 40 dinars [environ 0,26 euro] », demande-t-il. Spatule en métal en main, le vendeur gratte le plat et remplit le pain d’un flan – la garantita – qu’il arrose d’un trait de harissa, avant de l’envelopper dans du papier gris et de l’emballer dans un sachet en plastique bleu. « La garantita, c’est le meilleur moyen de ne pas avoir faim », rit le client avant de repartir dans un véhicule de l’administration publique.
Dans la capitale algérienne, ce plat à base de farine de pois chiches qui ressemble à un flan est un incontournable du repas sur le pouce. Son prix le rend attractif pour les employés de l’administration comme pour les travailleurs journaliers, les étudiants ou les écoliers. Appelée « garantita » à Alger, elle devient « karantika » à Oran, la métropole de l’ouest du pays, où elle est vendue partout, dans les quartiers populaires comme dans le centre-ville.
La légende dit que le plat aurait été créé par des Espagnols coincés lors du siège d’Oran au XVIIIe siècle, avec pour seul approvisionnement de la farine de pois chiches. Le nom serait une adaptation du mot « caliente » (« chaud » en espagnol), devenu « calentica ». Mais pour Rachida Ziouche Lazrak, cheffe cuisinière et autrice de Ma cuisine passion : 30 jours, 30 menus, il est surtout probable que l’usage de la farine de pois chiches, utilisée en Mésopotamie depuis l’Antiquité, soit venu avec les déplacements de populations en Méditerranée. Elle souligne que des préparations similaires existent surtout en Italie, pas en Espagne.
« Froid, ce n’est pas bon ! »
« Ce qui est sûr, c’est qu’on la mange dès qu’elle sort du four. Froid, ce n’est pas bon ! » Zohor, 29 ans, mange de la garantita deux à trois fois par semaine : « Pour les étudiants, c’est la nourriture de fin de matinée, quand tu as très faim parce que le matin tu n’as bu qu’un café. Et celle de la fin du mois, quand tu ne peux plus te payer un chawarma [environ 250 dinars]. » La jeune femme, qui a grandi à Oran, la prépare chez elle et la mange accompagnée d’une salade : « C’est une recette simple. Il faut de la farine de pois chiches, de l’eau, de l’huile, du sel, des œufs et du cumin. »
Mais elle admet que « c’est meilleur dehors », probablement parce que « les vendeurs ont des fours beaucoup plus chauds ». La particularité de la garantita est en effet dans la cuisson : le bas doit être ferme, le dessus crémeux, tandis qu’une fine croûte brûlée doit apparaître à la surface. « Mon père, qui vient de Mostaganem, est capable de faire des dizaines de kilomètres pour aller manger celle d’un petit village », raconte Zohor.
En Algérie, le pois chiche est un aliment très consommé, dans les soupes comme dans les sauces qui accompagnent les plats traditionnels. En 2018, le pays faisait partie des cinq plus grands pays importateurs de pois chiches, selon l’Observatoire de la complexité économique, même si sa production, de 34 000 tonnes en 2018, a presque été multipliée par trois depuis 2001.
Retrouver le « goût de l’enfance »
Rachida Ziouche Lazrak se souvient des casse-croûte à la sortie de la fac centrale d’Alger dans les années 1970 : « Des merguez et des frites, mais la garantita a toujours existé », dit-elle. Cette diplômée en sociologie, qui a ouvert une maison d’hôtes dans la région de Souk Ahras, à 550 km à l’est d’Alger, explique avoir vu la nourriture de la rue algérienne évoluer. Le « frites-omelette », plébiscité il y a moins de dix ans, est désormais concurrencé par d’autres types de sandwichs, du mhadjeb (sorte de crêpe fourrée avec une sauce piquante) au chawarma, venu du Moyen-Orient : « Les jeunes sont très connectés à Internet et suivent des émissions de cuisine étrangères. Mais tous cherchent les goûts d’antan, le goût maternel. Dès que des plats qui sont habituellement faits à la maison sont proposés dans la rue, il y a un engouement terrible. »
C’est ce « goût de l’enfance » qui a poussé le chef Rabah Ourrad, qui a grandi dans le quartier de Hussein Dey, à Alger, à proposer la garantita comme mise en bouche sur la carte de son restaurant, le Mim. « On la mangeait à la sortie de l’école primaire. On savait exactement à quelle heure elle sortait chaude du four. On léchait tout le crémeux avant de manger la partie plus dure comme du pain », se souvient-il. Il transforme la partie la plus crémeuse en émulsion, prépare la harissa en s’inspirant de la recette de la sauce chili apprise au Mexique, s’aide d’un chalumeau pour retrouver l’aspect brûlé et présente le plat comme un toast. Les clients applaudissent et en redemandent. « Je n’ai jamais réussi à l’enlever de la carte, c’est devenu un classique, sourit-il. Ce que j’ai obtenu, finalement, ce sont des gens heureux et fiers qu’on propose ce plat algérien dans un restaurant gastronomique. »
Sommaire de la série « L’Afrique a du goût »
Saveurs pimentées, parfums fleuris ou adoucis par un passage en friture, les arts culinaires africains racontent des territoires, des coutumes et une certaine philosophie de la vie. En France, quelques plats sont à la mode, qui régalent les aventuriers du goût. Du yassa au mafé en passant par le thiep au poulet, quelques plats ont déjà laissé leur empreinte sur les palais, servis dans des restaurants qui affichent leur africanité sans préciser de quelle région du continent ils s’inspirent.
Et pourtant, un monde sépare les pâtisseries égyptiennes du fetira éthiopien. Car chaque plat, chaque dessert raconte à lui seul une histoire, un rapport à la terre, aux ancêtres, au climat aussi. C’est pour ouvrir sur ces horizons encore trop méconnus, pour goûter et regarder l’Afrique autrement, que Le Monde Afrique vous offre en guise de série d’été un voyage au cœur de quelques spécialités qu’on ne goûte pas forcément ici, une visite dans les cuisines d’un chef emblématique ou dans un restaurant qu’on ne rate pas.
L’Afrique a du goût et, comme le rappelait le géographe français Jean Brunhes (1869-1930), « manger, c’est incorporer un territoire ».
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