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Après un Bouzié (A ma mère), son premier film sorti en 1997, Jacques Trabi, le réalisateur ivoirien récidive en 2015 avec « Sans regret », film dramatique toujours sur fond d’amour
Il lui a fallu six semaines de tournage pour donner forme et vie à « Sans regret », production qui remporte le prix spécial au 5e Festival du film africain de Louxor (Egypte) en 2016. « Sans regret » retrace le choix de Gaston Botty, docker au port d’Abidjan et bon père de famille mué en braqueur à la suite d’une agression.
Gaston trime à joindre les deux bouts avec son maigre revenu de manœuvre au port d’Abidjan. Pourtant les dépenses de sa famille n’attendent pas. Les études de son fils, Faustin à l’école de Police nationale doivent être payées. Gaston, paumé, perçoit l’argent de sa tontine mais se voit dérober le butin par des braqueurs. S’en suit alors une course poursuite vers ses bourreaux pour Gaston qui finit par devenir l’un d’eux.
Au bout de ces 90 mn, ce père aux responsabilités nombreuses, désabusé, nous arrache au final de l’admiration car ses actes de bravoure, de banditisme ne se posent pas à des fins strictement égoïstes. Mais elles sont pour le bien-être de son épouse enceinte, de son fils dont le concours doit être financé et de sa fille qui échappe de peu à la prostitution.
Dans son film, plusieurs tares de la société ivoirienne sont mises en lumière pour relever les conditions des personnes vulnérables et les offres auxquelles elles sont soumises. Le choix de l’immoral est très souvent opéré pour faire face à leurs responsabilités. Pendant une heure trente minutes, ce réalisateur donne accès aux intérieurs de la famille Botty mais également à ceux de nombreuses autres familles défavorisées, aux difficultés et choix similaires. Pauvreté, insécurité, corruption sont greffés à de l’action, du sang, des armes pour produire un film policier aux relents d’amour. Ce film s’offre également comme une confrontation de l’homme à sa conscience, une exposition de ses choix avec ses implications.
Le film aux 3 mérites
Le premier mérite de ce film de Jacques Trabi est d’avoir écrit un scénario narratif, précis, un texte direct sans pour autant être fermé. « Sans regret » est même ouvert à la contestation. Passée au tamis de la morale, l’histoire en elle-même est discutable. Certains téléspectateurs optent pour la recherche de solutions auprès des autorités après l’agression du père Gaston quand d’autres acclament le choix de se faire justice soit même. Et c’est ce qui lui donne un caractère souple sans pour autant l’étioler dans le laxisme.
Le deuxième mérite de « Sans regret» est le casting. Le casting a retenu des acteurs chevronnés comme l’antillais Bruno Henry qui incarne assez bien le chef de gang Bleu Mathias surnommé Cercueil. Bruno Henry apprivoise le rôle grâce à son sourire pluriel. Son sourire, pour paraître amusé, n’est qu’une apparition furtive ; son sourire indifférent a une durée normale, quand son sourire douloureux, lui, se prolonge. Dans la mafia et la pègre, le sourire est une arme redoutable.
Ensuite, il y a Michel Bohiri, l’acteur principal, qui s’évade de ses rôles de mauvais compagnon imprimé par le téléfilm « Ma famille » de la réalisatrice ivoirienne Akissi Delta qui lui collait à la peau. Son jeu de bon père qui pourtant choisit le mal finit par le rendre sympathique, et même dans les scènes physiques censées l’essouffler (tirs, courses poursuites, bagarre…), il réagit bien. Bohiri ira jusqu’à chausser les expressions ‘‘nouchi’’. Il ira, écrasé comme la misère par un plan plongée, jusqu’à chanter en kru : « Pourquoi le malheur me suit-il ? Pourquoi est-ce moi que le malheur accable ? » Meiway, l’artiste ivoirien fera écho à son refrain, d’une aérienne voix de tête : « Miyi, Mi wanio, minézoukoua ma nianbe». Traduction : «Mes maigres ressources financières m’empêchent de m’occuper des miens ». Bohiri est sincère quand il chante, tout comme il est sincère quand, dépouillé par les bandits, il réussit à nous arracher de la compassion en proférant d’une voix époumonée par les efforts de lutte et par la dramatique découverte : « Mon argent. Je suis mort. Je suis mort ».
L’inoxydable Naky Sy Savané : Servie par un teint naturel qui absorbe bien la lumière, Naky Sy Savané illumine l’écran par son jeu spontané et généreux duquel se dégage une passion qui ne saurait prendre de rides plus de 23 ans après son rôle de la folle de Gnoan M’Bala dans le film « Au nom du Christ ». Rôle autre de composition bien interprétée dans « Sans regret » avec une grossesse de 6 mois, même si l’on peut regretter l’approximation de la simulation de cette grossesse qui, du reste, relève davantage des costumiers, accessoiristes, plans de cadreurs que de l’actrice.
A Mahoulé Kané qui campe Bléki, l’on a donné un rôle secondaire, bien qu’il soit à son enième long métrage. Idem pour Prisca Maceleney qui est loin d’être une anonyme (Un homme pour deux sœurs en 2006, à ses débuts), mais à qui le réalisateur a confié le rôle de Tantie Choco, une tavernière que l’amour étreint. Par la qualité des seconds rôles, le niveau du film s’en trouve immédiatement relevé.
Autre mérite du film : sa fin. Cette fin foisonne de qualités. De nombreux réalisateurs auraient choisi une fin fermée. Que Gaston ait atteint ou pas son objectif, ce qui est important, c’est que la quête de son objectif lui a ouvert de nouvelles perspectives. Et l’on peut pousser la compréhension et considérer ce film, eu égard à la fin, comme une véritable histoire d’amour. Amour immense d’un père pour sa famille qu’il voudrait sécuriser. Et Gaston Botty, le personnage principal de « Sans regret », a terminé un cycle de sa vie et s’en va vers le commencement d’un autre. Cette refonte dans la nature, après avoir dit au caissier de son nouveau payeur qui souhaitait le revoir lundi : « Je ne reviendrai pas lundi », est une sorte d’adieu, de mort. Mort symbolique, véritable cendre de la vie.
Prolongement logique du récit, la fin de « Sans regret » est également cohérente et intelligente. Car elle est très peu spectaculaire en apparence. Il est pourtant là tout le spectacle qui se veut réfléchi. Car en effet, cette fin trahit et dépasse les attentes du spectateur qui sort le cerveau chargé de plein de questions. La plus belle d’entre ces questions est : finalement, c’est quoi réussir sa vie ?
Rita DRO (Stagiaire) ©www.noocultures.info
Article produit dans le cadre de la 1ère session de la formation en critique d’art organisée par l’Agence Panafricaine d’Ingénierie Culturelle – APIC
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