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Il faut d’abord entrer en terre sérère, longer un bras sinueux du delta du Saloum, traverser la forêt de Samba Dia, avant de découvrir, à 200 km au sud-est de Dakar, niché dans un luxurieux jardin du village de Djilor, le Mahicao : le Musée d’art et d’histoire des cultures d’Afrique de l’Ouest. Léopold Sédar Senghor, poète et premier président du Sénégal, est né non loin d’ici. « Je savais que je voulais l’installer sur ces terres, confie Reginald Groux, son fondateur. J’aimais l’idée d’être dans un endroit excentré, loin de la fureur de Dakar. Je suis retraité et j’aspire à plus de calme. »
En quarante ans à sillonner l’Afrique, ce marchand d’art français n’a pas pris beaucoup de repos. Collectionneur, propriétaire successif de quatre galeries parisiennes, professeur à Paris à l’Institut supérieur des carrières artistiques, il se veut aujourd’hui conservateur et rien d’autre. « Je ne voulais pas qu’on m’accuse de poursuivre une activité commerciale », dit-il. Fini les allers-retours sur le continent, désormais il y vit pour son projet, débuté il y a dix ans. « La volonté du musée n’est pas de rendre les objets aux Africains mais de leur rendre leur histoire », aime-t-il souligner.
Dans une belle bâtisse à l’architecture soudanaise, de larges portes en bois ouvrent sur sa riche collection : 550 objets sont exposés dans une scénographie se jouant du clairs-obscur, avec murs en latérite et épais tapis de coquillages qui craquent sous les pieds. Toute l’histoire africaine, du néolithique jusqu’au XXe siècle, est évoquée en ces 500 m2. Son objet le plus ancien : un biface saharien préhistorique, outil de pierre taillée.
On trouve aussi un trône ibo du Nigeria ; des appuis-nuque funéraires dogons ; des cimiers tywara, représentations d’antilopes issues de la culture bambara ; une statue en terre cuite djenné du Mali, datée par thermoluminescence du XIVe siècle. Dans le sable des vitrines, des outils taillés, des scies, des pointes de flèches dentelées, une gourde pour pratiquer les ordalies, des mortiers, des bijoux, des fétiches, des poupées de fertilité et des peignes. « Certains de ces objets sont des vestiges que j’ai trouvés moi-même dans le désert », raconte l’explorateur. D’autres ont été achetés, comme ce collier d’os de dinosaure négocié 140 euros au Sénégal.
« Valeur symbolique »
Son savoir-faire de commerçant, il l’a aiguisé dès ses 19 ans. Après le bac, il est recruté par un Américain collectionneur d’art africain qui l’envoie sur le continent à la recherche de pièces originales. Dans les années 1970, le marché de l’art s’intéresse de plus en plus aux objets et à la statuaire continentale et Reginald Groux est l’un des nombreux Occidentaux piqué par ce « virus de l’art africain », comme il l’appelle.
Il travaille pour différents galeristes en Europe et aux Etats-Unis, alors qu’explose l’attrait des marchés internationaux pour les arts premiers. Il se souvient des marchands sénégalais arrivant à l’hôtel Wellington de New York avec des valises pleines de statuettes, vendues à même le trottoir. L’époque était à l’euphorie et aux réglementations légères. « Je faisais des tournées en Land Rover dans toutes les grandes villes du Sahel. Je récupérais sur les marchés des objets en bronze vendus au poids et destinés à la fonte. On voyait de la valeur dans ce qui n’en avait plus. »
Après avoir vu passer entre ses mains « les plus belles pièces du continent », il a commencé à réserver dès 2009 des objets représentatifs des différentes cultures ouest-africaines pour son projet de musée. « En Afrique, contrairement à l’Europe, l’objet d’art n’a pas vocation à être partagé, dit-il. Quand la famille n’en avait plus usage, on s’en débarrassait. Il n’y a pas de tradition de conservation. En exposant ces objets, j’ai voulu leur restituer un peu de leur histoire, de leur importance et de leur valeur symbolique. »
Sur un mur est accroché un bouclier cerclé d’une dizaine de lances. Une mise en scène se moquant des « tartarinades que les colons exposaient dans leur salon avec une peau de bête pour montrer combien l’Afrique est sauvage. On ne rapportait jamais un bel objet pour montrer l’aspect glorieux de l’Afrique », dénonce-t-il. Pour le reste, son musée se veut à contre-courant de cette esthétique guerrière, civilisatrice, privilégiant une approche ethnographique. C’est un lieu hommage à la richesse des cultures africaines.
Devant les familles sénégalaises et les touristes de passage, Reginald Groux fait montre d’une profonde érudition, jonglant avec les dates, les lieux, les anecdotes ; de l’empire de Soudiata Keita en 1350, à celui de Kanga Moussa, roi malien et l’un des hommes les plus riches de l’histoire du continent. « Mon but est d’exprimer le langage symbolique caché dans ces objets alors qu’on a longtemps dénigré l’Afrique parce qu’elle n’avait pas la culture de l’écriture », explique-t-il.
Ce mépris, nourri par la colonisation, appelle correction : « Très longtemps, on a dénié aux Africains le droit d’avoir inventé quoi que ce soit. On a dit que la métallurgie du fer était apparue en France au IXe siècle avant Jésus-Christ, or on a des traces avérées de métallurgie soudanaise datant de 1500 ans avant J.-C. ».
« Curiosité intellectuelle »
Toutes ces questions ont pris récemment une place prépondérante dans le débat public. En 2018, l’historienne de l’art française Bénédicte Savoy et l’écrivain et universitaire sénégalais Felwine Sarr ont remis leur rapport « sur la restitution du patrimoine culturel africain », commandé par Emmanuel Macron. Le document fixe les conditions de rapatriement des objets d’art présents dans les musées français et issus de missions militaires, religieuses et scientifiques, comme les biens qui ont fait partie d’un trafic avéré depuis les indépendances.
Le débat agace Reginald Groux. « On a présenté les Européens comme des prédateurs. Or ils ont bien plus souvent été conservateurs par curiosité intellectuelle, avance-t-il. Dans les années 1950 s’est créé ce marché d’art, très vite “trusté” par des antiquaires africains. Le rapport Sarr-Savoy fait état d’objets achetés à vil prix, mais il n’y avait pas de prix à l’époque. Si l’art africain vaut cher aujourd’hui, c’est parce qu’il y a eu des collectionneurs et des musées qui en ont fait la promotion. S’il n’y avait pas eu de gens pour ramener l’art africain en Europe, il aurait disparu. »
Lui préférerait que les Etats européens donnent de l’argent pour bâtir des musées en Afrique, plutôt que de rapporter des œuvres dans des structures qui ne pourront pas financer leur entretien. « Je me suis dépossédé de tout ce que j’avais acquis pour le mettre dans ce musée et je l’ai mis au nom de ma femme, Aïda », une Sénégalaise qui tient le restaurant adjacent au musée et concocte de délicieux plats ouest-africains et français.
« Un musée comme celui-ci, on le fait avec un million d’euros, bâtiment et collection. Ce n’est rien pour un Etat qui veut répliquer l’expérience », affirme-t-il encore. Lui veut passer le flambeau. Alors, il forme Juliette, une fille de la région, afin qu’elle mène les visites et gère l’exposition. L’Académie diplomatique africaine (ADA) s’est récemment intéressée au Mahicao. Elle réfléchirait à dupliquer le projet dans d’autres pays de la région.
Suivez notre série « L’Afrique se visite dans ses musées »
Certains se font gardiens des traditions. D’autres tentent d’audacieuses incursions dans l’univers de l’art contemporain africain. D’autres encore jouent le rôle de mémoire vivante d’histoires tourmentées. De Tunis à Johannesburg en passant par Abidjan, Djilor ou Manega, les musées du continent laissent voir l’Afrique de mille et une façons. A l’heure où la réflexion se poursuit en France sur la restitution du patrimoine africain aux différents pays du continent, les correspondants du Monde Afrique vous emmènent en visite dans des établissements culturels à l’identité singulière.
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