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Pour atteindre l’ancienne résidence d’été de Habib Bourguiba, à Skanès, près de Monastir, la ville natale du père de l’indépendance tunisienne, il faut se frayer un chemin dans un dédale d’habitations contemporaines. Des vastes et splendides jardins qui entouraient autrefois le palais de Skanès, il ne reste plus rien. Les terrains ont été vendus par lots à des promoteurs immobiliers sous le régime de l’ex-autocrate Zine Al-Abidine Ben Ali.
Tout un symbole tant Ben Ali s’efforça, dès son arrivée au pouvoir, d’occulter le souvenir de son prédécesseur qui dirigea le pays durant trente ans. Pendant deux décennies, le « palais de marbre » resta fermé. Son réaménagement puis sa transformation en musée en 2013, dans l’effervescence post-révolutionnaire, témoignaient d’une certaine réhabilitation du fondateur de la Tunisie moderne. C’est d’ailleurs l’un des seuls musées qui a ouvert ses portes après l’avènement de la démocratie tunisienne, contrairement au Musée de la révolution à Sidi Bouzid, dont la construction n’a même pas encore démarré.

Habib Bourguiba, qui repose dans un mausolée tout proche du palais, passait une partie de ses vacances d’été à Monastir, ville côtière du Sahel tunisien, dans cet édifice construit par l’architecte Olivier Clément Cacoub et inauguré en 1962. Un lieu qui apparaît comme une œuvre symbolique de sa politique, conjuguant mise en scène du pouvoir et volonté de modernité.
Poésie arabe et vers d’Alfred de Vigny
« Les lignes sont épurées, il y avait déjà une indépendance affichée vis-à-vis de l’architecture de l’ancien régime beylical et de l’architecture traditionnelle tunisienne, même si on peut retrouver des références à travers les moucharabiehs sculptés dans la façade », explique Ridha Moumni, historien de l’art, chercheur à l’université de Harvard. Ainsi Bourguiba ne se charge pas des emblèmes du passé dans ce palais, comme il l’avait fait à Carthage, siège de l’exercice du pouvoir. « L’endroit relève d’un geste architectural résolument moderne. Il s’agit d’affirmer l’aspect novateur du pouvoir tunisien centré autour de la figure hégémonique de Bourguiba tout en témoignant un attachement à sa ville natale de Monastir, à l’identité sahélienne et plus généralement méditerranéenne », ajoute M. Moumni.

A l’extérieur, la piscine est désormais vide et la fontaine musicale devant l’entrée principale, une curiosité à l’époque, ne fonctionne plus. Mais à l’intérieur de l’édifice, la plus grande partie de l’infrastructure a été préservée ainsi que le mobilier, œuvres des architectes et décorateurs français Maxime Old, André Leleu et Raphaël. Du salon marocain offert par l’ancien souverain du royaume chérifien Hassan II, à la coiffeuse de la fille adoptive de Bourguiba, Heger, tout a été restauré lorsque l’édifice a été rendu à l’Etat et classé monument historique en 2002.
Dans le salon et la salle à manger qui servaient aussi de lieu de réunion pour les conseils des ministres, des tapisseries margoum (tissages en laine) réalisées par l’Office de l’artisanat de la région de Gafsa, ornent les murs. Les motifs célébrant la pêche, l’agriculture et même les fleurons industriels rendent hommage au développement économique de la Tunisie sous Bourguiba. La création du mobilier et des éléments de décoration ont été l’occasion de valoriser le savoir-faire des artisans tunisiens, des forgerons aux maçons en passant par les maîtres verriers et les céramistes, notamment le célèbre artiste Abdelaziz Gorgi, dont une composition de carreaux de céramique orne l’une des façades de la terrasse extérieure.

Le bâtiment regorge de richesses architecturales et décoratives, novatrices pour l’époque, comme un toit-terrasse surmonté d’une ombrière. « Le palais reflète comment la Tunisie a su digérer les influences artistiques étrangères pour créer une identité particulière », estime ainsi Saloua Khaddar Zangar, spécialiste de l’histoire de la Tunisie contemporaine à l’institut national du patrimoine. De même, rappelle-t-elle, dans son salon de réception, Bourguiba organisait des joutes littéraires de poésie arabe, mais se plaisait tout autant à déclamer des vers d’Alfred de Vigny.
Faire revivre l’esprit de cette époque
Le palais reste dénué de fioritures ou d’apparat, selon la volonté de l’ancien président. Mais, dans les chambres où étaient fréquemment reçus autrefois ministres et invités, la propagande se lit en filigrane à travers les nombreux portraits de Bourguiba, notamment celui le représentant en train de nager dans la baie de Monastir, un cliché souvent diffusé à la télévision tunisienne pendant sa mandature. Au rez-de-chaussée, à côté de la limousine présidentielle, une Mercedes-Benz 600, un énième portrait de l’ancien dirigeant.

L’endroit peine encore à trouver son public dans une Tunisie post-révolution où le lien avec la mémoire et les symboles du pouvoir font toujours polémique. « Il est vrai que les visiteurs viennent surtout grâce au bouche-à-oreille, mais nous travaillons sur l’image du lieu afin qu’il trouve sa place dans le patrimoine », concède Aymen Chihaoui, le conservateur du musée.
Heger, la fille adoptive de Bourguiba, n’a pas oublié les vacances de son enfance passées dans cette vaste demeure. Un jour, elle espère y voir revivre un peu l’esprit de cette époque. « L’été, mon père organisait des festivités à l’occasion de son anniversaire. Pendant deux semaines, les meilleurs bacheliers et les artisans de différentes régions venaient sur place profiter du palais, raconte-t-elle. C’était un lieu de vacances, mais il cristallisait aussi tous les projets de modernisation qu’avait Bourguiba pour le pays. Il faudrait que cet endroit retrouve sa vocation culturelle et artistique. »
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