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La cérémonie promettait d’être exceptionnelle. Le lieu était prêt depuis deux ans et ses propriétaires attendaient le bon moment pour marquer le coup. L’inauguration du Musée des cultures contemporaines Adama Toungara a bien eu lieu le 11 mars, mais le soir même, les autorités annonçaient le premier cas de contamination au Covid-19 sur le sol ivoirien, reléguant au second plan l’ouverture de cet espace culturel inédit. Pis, une semaine plus tard, en raison du contexte sanitaire, l’établissement culturel a dû fermer ses portes. Mais qu’importe, malgré ces débuts compliqués, l’objectif est atteint : la Côte d’Ivoire a planté son drapeau sur la carte du monde de l’art contemporain.
Jusque-là, hormis quelques galeries privées et villas cossues d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne, l’art contemporain n’avait nulle part où s’exposer. « En construisant le premier musée du pays dédié aux cultures contemporaines, mon père a corrigé une anomalie », affirme Bintou Toungara, l’administratrice du musée. Aidés par Yacouba Konaté, le célèbre directeur du Marché des arts du spectacle africain (MASA) – un festival organisé tous les deux ans à Abidjan –, le père et sa fille ont convaincu les organisateurs de l’exposition panafricaine itinérante « Prête-moi ton rêve », qui venait de passer par Casablanca et Dakar, de faire une escale à Abidjan. Et plus précisément, à Abobo, l’immense quartier populaire du nord d’Abidjan où s’est ouvert le nouveau musée.
« Nid d’artistes »
« Les gens ont pris mon père pour un fou, se souvient la jeune administratrice. Certains ont voulu le décourager d’ouvrir son musée dans cet endroit de la ville. » Mais Adama Toungara, ancien ministre du pétrole et de l’énergie et par ailleurs l’un des plus grands collectionneurs privés du pays, a été le maire d’Abobo pendant près de vingt ans. A ses yeux, il ne pouvait donc en être autrement. « Abobo est un nid d’artistes qui mérite d’être reconnu », ajoute Bintou Toungara.
Le pari est pourtant audacieux. La commune traîne derrière elle une réputation sulfureuse. Peuplée majoritairement par des gens originaires du nord de la Côte d’Ivoire, elle a longtemps été le fief à Abidjan du Rassemblement des républicains (RDR), le parti d’Alassane Ouattara, originaire du Nord, devenu aujourd’hui le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Lors de la crise post-électorale de 2010-2011, de nombreuses forces rebelles pro-Ouattara y ont trouvé refuge et y ont combattu les forces de l’ancien président Laurent Gbagbo.
Le boulevard sur lequel se situe aujourd’hui le nouveau musée des cultures contemporaines a d’ailleurs été le théâtre d’âpres combats. Cet épisode a valu à la commune le surnom « d’Abobo-la-guerre », un sobriquet que rejettent farouchement ses habitants aujourd’hui. Gigantesque, le quartier est aussi connu pour être l’un des terrains de jeu favoris des « microbes », des enfants de la rue tombés dans la délinquance.
« Abobo n’a pas mauvaise réputation, Abobo a une histoire chargée », corrige Tena Ouattara, le secrétaire général de la mairie, qui fait face au musée. Pour le responsable municipal, le musée, ce « joyau », est une aubaine qui « va attirer les Abidjanais qui n’ont pas pour habitude de venir jusqu’ici, ainsi que les touristes étrangers ». Le lieu, s’enflamme-t-il, est même amené à devenir « l’âme d’Abobo ». A condition que les habitants se l’approprient et notamment la jeunesse dans un quartier où 60 % de la population a moins de 20 ans. La plupart des Abobolais n’ont pas les moyens de se payer le transport jusqu’au Plateau, le quartier d’affaires au cœur de la ville où se situe le Musée des civilisations de Côte d’Ivoire, le plus grand établissement culturel national ivoirien.
Portraits de famille
La gratuité et les visites journalières d’une centaine de collégiens et lycéens doivent contribuer à démocratiser ce nouveau lieu culturel. Une des prochaines expositions à l’agenda mettra d’ailleurs les Abobolais dans la position d’artistes. Des milliers de petits portraits de famille vont être récupérés dans les foyers de la commune et exposés durant des mois. « Cela permettra, pour une fois, aux gens du quartier de se voir et de se raconter », explique Bintou Toungara.
Dans le bâtiment construit par la « superstar » de l’architecture ivoirienne Issa Diabaté, la pluralité d’espaces a été pensée pour attirer un public varié. En sus des deux salles d’exposition, le lieu abrite des ateliers de peinture, une médiathèque, une bibliothèque et un espace réservé à la danse. « Toutes les cultures contemporaines auront leur place, ce musée ne se résumera pas qu’à l’art contemporain », explique Mimi Errol, commissaire d’exposition à la galerie Houkami Guyzagn à Abidjan et critique d’art. Le musée, prédit-il, va faire « des émules » et montrer « à tous les jeunes artistes ivoiriens, notamment ceux d’Abobo, qu’il y a un endroit proche de chez eux aux standards internationaux où ils pourront performer ou être exposés ».
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Installée à Abidjan, l’exposition « Prête-moi ton rêve » présente les œuvres de cinq artistes ivoiriens très en vue à l’international : le peintre Ouattara Watts, les sculpteurs Jems Koko Bi et Siriki Ky, la photographe Joana Choumali et l’artiste plasticien Ernest Düku. Faute d’écosystème local, certains d’entre eux sont partis vivre à l’étranger, « mais ils sont aujourd’hui enfin exposés chez eux », se réjouit Mimi Errol qui espère que ça leur donnera envie de s’y réinstaller : « L’art ivoirien tient enfin ce qui lui manquait : un musée d’art contemporain qui accueille ses propres artistes, ainsi que des étrangers, dans une commune qui ressemble à nos villes, jeunes et dynamiques. »
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