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L’onde de choc suscitée par la mort de l’Afro-Américain George Floyd n’a pas épargné le milieu des institutions culturelles américaines. Fin juin, une coalition d’employés, anciens et actuels, du Metropolitan Museum of Art, du Guggenheim et du MoMA, la crème des musées new-yorkais, a exigé dans une lettre ouverte de nouvelles « pratiques de recrutement » pour « garantir l’embauche de conservateurs de couleur ». Une étude de la fondation Andrew W. Mellon soulignait en 2015 que, aux Etats-Unis, seulement 4 % des directeurs, conservateurs ou médiateurs étaient afro-américains.

De telles statistiques « ethniques » sont prohibées en France. Ou plutôt, elles sont encadrées, comme le rappelle Le Quotidien de l’art dans une grosse enquête publiée en janvier 2020. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) compte ainsi, parmi d’autres critères, le « ressenti d’appartenance » pour mesurer les questions de diversité sur le petit écran, notion qui n’a pas été élargie à d’autres secteurs culturels. « En application des règles constitutionnelles françaises, on ne choisit pas nos élèves selon des critères de race ou de religion », martèle ainsi Charles Personnaz, directeur de l’Institut national du patrimoine, qui forme les futurs conservateurs de musée.

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Reste que l’accès des afrodescendants aux postes à responsabilité est compliqué. En janvier, Stéphane Martin, l’ancien président du Musée du quai Branly-Jacques Chirac, battait sa coulpe dans les colonnes du Monde : « Je souhaite que le musée se colorise. Nous sommes trop blancs. Il est encore très compliqué de faire venir des conservateurs des pays d’origine. C’est l’étape d’après pour nous. » Le 2 juillet, à l’occasion d’une table ronde intitulée « Discriminations raciales, que peut faire la culture ? », Christine Macel, conservatrice en chef au Centre Pompidou, déplorait également « la très faible représentation des personnes non occidentales dans les équipes des musées ».

« Pas vraiment le prototype de la Française »

Cet état des lieux surprend d’autant plus que le milieu de la culture est réputé ouvert et tolérant. Directrice du département culturel au Louvre de 2002 à 2007, Aline Sylla-Walbaum affirme ainsi n’avoir subi aucun préjugé. « On m’envoyait souvent pour inaugurer les expositions clés en main du Louvre au Japon alors que pour les Japonais, je ne suis pas vraiment le prototype de la Française façon Catherine Deneuve », sourit cette énarque d’origine franco-sénégalaise, qui a depuis rejoint la direction générale de Christie’s.

Au Musée d’Orsay, où fut organisée en 2019 l’exposition « Le modèle noir », de nouvelles grilles de recrutement ont été mises en place depuis 2017 pour éviter la reproduction des stéréotypes et chercher des profils moins classiques. Les lignes bougent comme en témoignent les récentes nominations de personnes noires et métisses telles que Christelle Glazaï, directrice de production à la Grande Halle de la Villette, ou Cédric Fauq, curateur au Palais de Tokyo, à Paris.

Malgré les bonnes volontés, la discrimination se révèle parfois insidieuse. « C’est votre ombre, vous ne la voyez pas toujours », admet la Franco-Béninoise Audrey Gouimenou, responsable de la communication de l’American Center for Art and Culture, à Paris. Dans le milieu des musées, il n’y a pas de préjugés exprimés vis-à-vis des personnes « de couleur », estime Damarice Amao, attachée de conservation au Centre Pompidou et cocommissaire de l’exposition « Dora Maar » en 2019. « C’est plutôt color blind, on se voile la face », complète-t-elle.

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Parcours atypique que celui de cette jeune femme aux origines ghanéenne et nigériane, née en 1984 à Montpellier et élevée par une mère femme de ménage passionnée de littérature. Seule noire boursière au lycée parisien Victor-Duruy, cette spécialiste du surréalisme était aussi la seule étudiante noire de sa promotion en doctorat d’histoire de l’art. Mais, précise-t-elle, « mon parcours n’est pas miraculeux, il est lié à une convergence d’aides et de soutiens que tout le monde n’a pas ».

Car l’accès aux filières culturelles n’a rien d’évident. Les études sont longues, les perspectives professionnelles incertaines. « Enfant, on me disait d’aller vers le droit et la médecine, des métiers cartésiens où seules les compétences comptent », reconnaît Andréa Longrais, dont une partie de la famille est originaire de la Martinique et aujourd’hui chargée de communication à Paris Musées, l’établissement chapeautant 14 musées parisiens. Aussi beaucoup de jeunes se découragent-ils en pensant que ce milieu n’est pas pour eux.

Le problème n’a pas échappé à l’Ecole du Louvre et à l’Institut national du patrimoine. Grâce à un partenariat noué avec la Fondation Culture et diversité, ces deux établissements tentent de toucher des jeunes des zones d’éducation prioritaire. Chaque année, une dizaine d’étudiants d’outre-mer sont aussi reçus au concours de l’Ecole du Louvre, et les cours d’été pour jeunes professionnels, notamment le séminaire de muséologie tourné vers l’Afrique noire francophone, sont appréciés. « Il y a un vrai progrès, observe Claire Barbillon, directrice de l’école. Mais ça reste compliqué, car la société française ne va pas assez vite. »

« Offrir aux jeunes des modèles »

Pour insuffler des vocations, il faut, selon Chouna Lomponda, « offrir aux jeunes des modèles ». Cette femme de tête d’origine congolaise a dirigé de 2011 à 2019 la communication du Musée juif de Belgique, à Bruxelles. Depuis, elle coordonne la campagne #DeLaReussiteParmiVous, pour valoriser les profils issus de la diversité par le biais d’expositions sur les grilles du parc royal, dans la capitale belge. Ainsi a-t-elle mis en exergue le parcours de la Franco-Togolaise Ayoko Mensah, programmatrice culturelle au Palais des beaux-arts, à Bruxelles. Lorsque, en juillet 2019 Emmanuel Macron a rencontré la diaspora africaine en France, Chouna Lomponda a pris la plume pour suggérer à l’Elysée de reprendre sa campagne en France. Un courrier resté sans réponse.

Pour Louise Thurin, 20 ans, prometteuse étudiante est en seconde année à l’école du Louvre et seule métisse de sa promotion, le plafond de verre ne pourra se briser qu’à travers une programmation plus diversifiée, dans laquelle les afrodescendants pourraient se reconnaître. « Si vous voulez attirer tous les publics, soyez les porte-parole de tous les publics. Comme nous, ils s’écriront : Incroyable ! Incroyable, c’est moi ! C’est ma vie ! C’est mon parcours humain ! Marchands, princes, guerrières, esclaves, rameurs, brigands, héroïnes… C’est moi, c’est moi tout à la fois – en même temps ! », écrit la jeune femme d’origine martiniquaise et polonaise dans une lettre ouverte qui, depuis juin, fait le tour des réseaux sociaux.

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Pas si simple. Car le contexte même du musée n’est pas neutre. L’Antillais Chris Cyrille, 26 ans, chargé de recherche depuis 2019 au Centre Pompidou le rappelle, « on travaille dans l’espace de l’épistémè occidental », autrement dit un cadre de pensée qui suppose certaines hiérarchies, « une manière de collectionner, sentir, présenter les œuvres, qui catégorise et déconsidère certaines géographies ».

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LA REDACTION