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« Eau douce » (Freshwater), d’Akwaeke Emezi, traduit de l’anglais (Nigeria) par Marguerite Capelle, Gallimard, « Du monde entier », 256 p., 20,50 €, numérique 15 €.
Ils s’appellent Fumée et Ombre, Asughara ou Saint Vincent. Ce sont des esprits qui, selon la cosmogonie de l’ethnie igbo, au Nigeria, forment la personnalité et l’avenir des enfants, dans le ventre de la mère. La tradition veut qu’ils s’effacent après la naissance. Mais quelque chose a vrillé pour Ada. Ils sont restés dans son corps et sa tête. « Il était clair qu’elle allait devenir folle », affirment ces esprits. La suite leur donnera raison. Bébé étrange qui ne marche pas, mais « rampe comme un serpent » et hurle très fort, Ada traverse une enfance brisée, entre une mère dépressive partie travailler à l’étranger et un père médecin dévoré par l’échec de sa carrière. Très vite, elle se mutile, encouragée par les multiples voix qui lui dictent ses actes.
Les esprits sont les narrateurs d’Eau douce, premier roman très remarqué aux Etats-Unis à sa parution, en 2018. Son auteur, Akwaeke Emezi, né au Nigeria en 1987 d’un père nigérian et d’une mère malaisienne, se définit comme noir, trans et non binaire, et se vit comme étant plusieurs. Dans Eau douce, qui tire une part de sa puissance et de sa singularité de sa biographie, Akwaeke Emezi fait le choix de mettre de côté la vision occidentale de la sexualité et des troubles de la personnalité au profit du regard ancestral igbo. Un peu à la manière de son compatriote Chigozie Obioma dans La Prière des oiseaux (Buchet-Chastel, 2020, lire « Le Monde des livres » du 3 janvier), où un esprit narrateur igbo sonde le caractère aliénant d’une histoire d’amour.
Loin du continent africain
Et si les esprits qui habitent Ada n’étaient pas une manifestation de sa folie, mais des recours qui l’aident à s’accepter ? C’est l’une des questions stimulantes que pose Akwaeke Emezi dans ce roman d’apprentissage hors norme. A 16 ans, l’héroïne paraît reprendre le contrôle de sa vie. Elle part étudier aux Etats-Unis. Loin du continent africain, les puissances igbo enragent, leur pouvoir s’amenuise. La transplantation d’Ada en Virginie agit pareillement sur le genre du roman, qui, dans sa deuxième partie, joue avec les codes du campus novel et du roman de l’acculturation. Le passage montrant Ada se faisant lisser les cheveux « jusqu’à ce qu’ils soient définis et raides comme des baguettes » fait assurément écho à la scène du salon afro-américain dans Americanah, le roman phénomène de Chimamanda Ngozi Adichie (Gallimard, 2015). Plus loin, lorsque Ada s’étonne que la fille qui tient le fer à lisser chante en chœur les publicités qui passent à la télé, cette dernière lui répond : « Ne t’en fais pas (…). Quand tu auras passé un moment ici, toi aussi tu chanteras tous les jingles. »
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