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Au fondement de l’œuvre de Rita Alaoui, il y a, à l’évidence, une immense curiosité pour le monde, une soif ontologique de connaître, une faim d’étrangeté, un enthousiasme dévorant pour la vie et même pour ce qui la nie en apparence, pour le vivant et pour l’inerte, pour le mystère de la lente gestation des choses, pour l’épiphanie du minuscule. Pour la dialectique du manifeste et du caché, du dehors et du dedans, de l’immense et de l’intime.

Méthode d’enquête, l’art polymorphe de Rita Alaoui (peinture, sculpture, collages, dessin…) consiste en une interrogation fondamentale sur l’éphémère, la disparition, la décomposition, sur le temps de la nature et le temps humain, sur l’impermanence, la mémoire du monde, interrogation qui n’est pas sans lien avec le souci si actuel de notre place au sein de la nature, et de notre relation à elle.

Cette double temporalité, source de déchirements et d’oscillations se résolvant dans une certaine équanimité, une certaine « bouddhéité », est au cœur du travail de l’artiste.

Ce sont les dessins de l’artiste qui traduisent le mieux, sans doute, la dimension spirituelle de l’oeuvre. Bien plus que des exercices de style, même s’ils en assument toute la difficulté et toutes les exigences (exercice auto-imposé, par exemple, de simples points additionnés comme des pixels), lesdits dessins, véritables efforts méditatifs, semblent vouloir entrer en résonance avec le travail même de la nature, en imiter la créativité.

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Rita Alaoui semble s’intéresser essentiellement aux objets et images aux racines profondément enfouies dans le psychisme humain, et à ce qui, dans les germinations continuées et l’inventivité folle de la nature, fait signe vers notre propre énigme, vers ce que nous étions appelés à devenir. « Le fossile, disait Gaston Bachelard, n’est pas seulement un être qui a vécu ; c’est un être qui vit encore, endormi dans sa forme.» 

Rita Alaoui ne nie pas sa dilection pour le banal, l’ordinaire, le trivial, l’insignifiant, conçus comme parfaitement dignes d’intérêt, entendus comme porteurs de secrets et de significations complexes, de rébus inaperçus, indécidables, comme autant de messages à nous destinés. Le minéral banal, ou le végétal banal, pour peu qu’on s’y attarde, déroutent, stupéfient, révèlent. Voir ou ne pas voir, être attentif ou non, telle est la question. Curiosité et connaissance (immédiate) s’entremêlent et c’est l’intuition, plus que la pensée, qui les unifie.

Chez Rita Alaoui, l’intuition et le « hasard objectif » de André Breton jouent un rôle essentiel. Tout est toujours affaire d’attention, cette faculté reine d’un homme aujourd’hui totalement diverti du monde réel et de lui-même, amputé de ses forces de symbolisation. En authentique phénoménologue des « petits riens », de la vie souterraine, de ce qui a été et n’est plus, elle nous donne à voir l’immensité et la fragilité de tout ce qui nous environne.

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Faisant de la veille poétique métier, l’artiste s’applique, au gré de ses nombreuses flâneries, de ses promenades exploratoires, de ses marches de reconnaissance, qui ont des allures de chasse au trésor, à retirer des décombres de la vie, pour les mettre en sûreté, les statufier, toutes sortes d’objets pétrifiés, de vestiges organiques, de reliques naturelles, de débris : ossements marins, coquillages, coraux, cailloux, graines…

Les réassemblant, les réarrangeant, avec un soin philatélique, elle les sauve de l’oubli, leur confère une seconde vie, nous obligeant par ce geste à nous recueillir, à scruter, par-delà les murs du conformisme, de l’habitude et des conventions, l’essence poétique et métaphysique du banal, du bizarre et du non-vu. Puisant dans l’infini « magasin d’images et de signes » (Baudelaire) qu’est la vie, elle en fait des icônes, les sublime, leur offre asile dans l’immatérialité de la poésie, au nom tout à la fois de cette faculté joyeuse qu’est l’imagination, qui n’a de comptes à rendre à personne, et de l’impérieux besoin de comprendre.

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L’artiste comme le poète ont vocation à nous réapprendre à voir, à « rompre avec l’accoutumance », à nous arrêter sur ce qui, ordinairement, nous est voilé. Tout artiste, obéissant aux lois du subconscient, ne peut que chérir le collage. L’esthétique collagiste de l’artiste est à cet égard une invitation à redécouvrir la puissance du rêve, à se confronter à des configurations mentales et visuelles inédites.

L’attention au banal, au dérisoire, à ces « vies minuscules » que l’on ne prend pas la peine de voir, ces objets, que l’on retrouve dans la plupart des cabinets de curiosités, est la signature de cette artiste qui ne néglige aucune source d’inspiration, qui se nourrit de tout ce qui tombe sous son regard, et sous sa main. Que recèle comme significations un objet dédaigné de tous, une matière supposément inanimée ? Une réserve inépuisable d’éternité contre la corrosion du temps ? Une rêverie propre à la matière elle-même ?

Dans La Poétique de l’espace, Gaston Bachelard, qui s’attarde longuement sur la symbolique du coquillage, comme rêve de protection et « emblème de l’être humain complet, corps et âme », en appelle à juste titre à une « psychanalyse de la matière ». N’est-ce pas là le vœu le plus secret de Rita Alaoui, cette grande songeuse, cette « habitante délicate des forêts d’elle-même » ?

Un Article de Adil Hajji

 

 

 


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LA REDACTION