A une époque où la majeure partie de la musique se conçoit dans le confort des studios, la Béninoise Angélique Kidjo a en quelque sorte pris le contrepied dans l’élaboration d‘EVE. Munie comme seul support technologique d’un enregistreur portatif à six pistes, elle a parcouru durant trois ans le continent africain d’est en ouest et du nord au sud pour y enregistrer des chants de femmes, principalement issus de chorales de villages. Cette plongée dans la tradition et l’authenticité se double évidemment d’un propos plus large que le titre de l’album laisse supposer.
S’il est aujourd’hui reconnu grâce à la science et aux recherches sur l’ADN humain, que toute l’humanité possède bien des racines africaines, alors EVE en tant que première femme est bien issue du continent noir. Ses descendantes les plus directes sont aussi à l’heure actuelle les premières victimes des nombreuses vicissitudes qui touchent l’Afrique. C’est pour rendre hommage à ces femmes et à ces mères qui souffrent qu’Angélique Kidjo a décidé de transmettre leurs voix.
EVE n’est cependant ni un disque de musiques traditionnelles, ni un disque ethnique, mais bien un album de world music tel que l’entendent les anglophones. Le disque a d’ailleurs caracolé en tête des charts dédiés à la musique du monde lors de sa sortie en janvier 2014 outre-Atlantique. Angélique Kidjo se sert du matériel recueilli lors de ses voyages comme d’une base pour une musique tout à fait actuelle, transfigurée au gré de l’inspiration de quelques invités de marque.
Pour surprenante qu’elle soit, la présence du piano de Dr. John sur « Kulumbu » ramène le blues du bayou à ses bases forcément africaines. Les chants polyphoniques d’« Ebile » sont habillés par les cordes de Kronos Quartet qui entrent en compétition avec différentes percussions. La guitare de Rostam Batmanglij vient souligner l’allégresse de « Bomba », morceau fait pour danser comme les affectionne Vampire Weekend. Ajoutons à ces présences celles continuelles de la section rythmique Chris Jordan (batterie) et Christian McBride (basse), d’Asa pour le duo « Eva » et de la propre mère de la chanteuse sur « Bana » et l’on aura une vision plutôt complète d’un disque qui mérite sans sourciller le qualificatif d’exceptionnel.