Il travaille avec Akon, lance sa musique dans les écouteurs de Youssoupha, mais rien, chez Jovi, ne trahit un penchant pour le bling-bling. Le rappeur basé à Yaoundé prêche l’avènement d’un hip-hop camerounais loin des caricatures occidentales. Interview.

Akon dit de lui qu’il sera le premier Africain à percer dans le hip-hop aux États-Unis. Mais, pour le moment, Jovi rappe toujours au Cameroun. Il s’est fait le chantre d’une identité musicale camerounaise et se moque des musiciens calquant les standards occidentaux. Pour lui, le rap « camer » est l’avenir du genre

Alors qu’il va se produire au Kankpé hip-hop Festival au Palais des Congrès de Cotonou, au Bénin, le 4 avril, et que son deuxième album sortira en avril ou en mai, on a profité de la mi-temps du match de football qu’il jouait sur sa console pour le rencontrer dans les locaux de son label, New Bell Music, à Yaoundé.

Selon toi, quelles sont les influences du rap camerounais ?

Jovi : Les États-Unis et la France. Dans un pays bilingue comme le Cameroun, on va autant s’inspirer de l’Américain Jay-Z que des Français comme Akhénaton et Booba. Il y aussi des auteurs camerounais importants, comme Krotal. Avant lui, on était comme des spectateurs, mais quand il a sorti la chanson « Vert, Rouge, Jaune », nous sommes devenus de véritables acteurs du hip-hop. C’est grâce à lui qu’on a commencé à voir le visage du hip-hop camerounais.

Comment décrirais-tu ce « vrai visage » ?

Notre marque de fabrique est d’utiliser sans distinction toutes les langues parlées au Cameroun. On peut prendre un mot chez les bamilékés à l’Ouest et lui donner du sens dans tout le pays, chez les anglophones ou chez les francophones. On utilise une culture globale, un dictionnaire qui va au-delà de l’anglais, du français ou même du pidgin. Dans mon label, New Bell Music, on doit être capable d’exprimer des émotions dans n’importe quelle langue. C’est une question d’authenticité, d’originalité et de rejet du tribalisme.

On trouve tout de même encore beaucoup de rappeurs au style américain.

Les Camerounais, en consommant ce qui se fait en France ou aux États-Unis, ne se rendent pas compte que cela retarde le développement de la production au pays. Ils sont fans des artistes étrangers que les médias mettent en avant et ils obligent les locaux à se plier aux mêmes codes. Résultat : le hip-hop camerounais, la musique mais également toute la culture qui va avec, n’est pas encore respecté. Pourtant, ce n’est pas un artiste international qui va pouvoir traduire ce que le peuple vit. Il faut un protectionnisme culturel pour que l’on puisse échapper au lavage de cerveau. L’Afrique a le potentiel pour prolonger l’ère du hip-hop.Il faut un protectionnisme culturel pour que l’on puisse échapper au lavage de cerveau.

Ce qui veut dire moins de grosses voitures, de jolies filles et de piscines ?

Il faut à tout prix arrêter avec ces stéréotypes : ça n’a aucun sens ! Aujourd’hui, on nous demande de faire un clip, de déshabiller des femmes dedans, de conduire des grosses bagnoles, même si ça n’a rien à voir avec le fond de la musique. Certains pètent les plombs : quel est l’intérêt de faire un tournage autour d’un jet privé si ton texte essaie de dire que les routes sont mauvaises au pays ?

Internet va-t-il aider le rap camerounais à s’imposer ?

Oui et non. Les internautes sont plus exigeants, ils ont accès à tout ce qui se produit et ce qui se dit sur la musique. Si tu arrives à conquérir leurs leaders d’opinion, tu seras capable de vendre tes titres partout dans le monde. Mais Internet oblige aussi les musiciens à atteindre un niveau de base, à remplir certains critères de qualité qui ne dépendent pas de la culture ou du pays. Les internautes ne se disent pas : « Pour quelqu’un qui est au Cameroun, ce n’est pas mal ». Ils te comparent aux standards internationaux. Personnellement, j’ai presque plus de personnes qui m’écoutent sur Soundcloud en Corée du Sud qu’au Nigeria voisin.

Il suffit de faire un clip de qualité ?

Le clip est important et aujourd’hui, avec les nouvelles techniques de compression, quelqu’un avec peu de moyens peut faire quelque chose de satisfaisant. Mais il ne faut pas oublier que l’important c’est l’audio, pas l’image. Après tout, on écoute toujours Edith Piaf et Beethoven.

Pourquoi le gouvernement n’apporte-t-il pas plus de soutien aux artistes de hip-hop ?

Le gouvernement n’a pas vu l’industrie que le hip-hop pouvait générer. Il ne se rend pas encore compte du potentiel, comme il l’a fait avec le football par exemple. Cela évolue mais on en est encore très loin et ceux qui dirigent ne permettent pas de faire émerger une scène rap de qualité. Le public reconnait les talents mais ce n’est pas lui qui prend les décisions. Par exemple, mon premier single est sorti sur un site internet étranger avant que des programmateurs de radio camerounais ne finissent par le remarquer… en allant sur le net pour télécharger Chris Brown !

Comment fait-on pour vivre en tant que rappeur à Yaoundé ?

On vit des concerts. La vente d’albums est très compliquée. Il y a un grave problème de piraterie et pas de système de droits d’auteur. Il m’arrive de me balader dans la rue et de voir des copies de mes productions. Un jour, mon frère en a acheté et le vendeur a essayé de lui faire croire qu’il me reversait un pourcentage sur chaque vente ! C’est difficile mais au moins, c’est moi qu’on pirate et pas Killie Minogue ou je ne sais quel autre artiste étranger.

Tes textes dénoncent les difficultés de la vie quotidienne au Cameroun, où tu as choisi de rester. Qu’est-ce qui t’a poussé à te lancer dans ce registre ?

C’est au pays que j’ai découvert la musique. Au collège, je jouais des percussions pour la chorale. Puis j’ai fait des petits concerts à la faculté avant d’obtenir mon diplôme en sciences sociales. Ici, même si tu es un génie de la musique, tu es obligé d’obtenir certains diplômes. Ce n’est qu’après, en 2008, que je suis parti en Inde pour faire des études d’ingénieur du son. C’est là-bas que j’ai eu une sorte de déclic. J’étais pauvre mais il y avait des gens qui l’étaient encore plus que moi, qui dormaient dans la rue, sous des ponts ou des abris confectionnés avec leurs vêtements à deux pas des immeubles Google ou Microsoft. J’ai un peu plus compris où je me situais et quand je suis rentré au Cameroun en 2010, j’avais compris la chose qui ressort aujourd’hui dans mes textes : la vie était un marathon et la souffrance fait partie du trajet

Le hip-hop camerounais est-il politique ?

Il est en tout cas très impliqué. Récemment, des rappeurs, notamment One Love, se sont emparés de la question de Boko Haram. Il y a également Valsero, qui attaque régulièrement le pouvoir. Moi, je porte le t-shirt de la Brigade d’intervention rapide (BIR) qui se bat au Nord du pays, mais plus généralement, je n’accuse personne dans mes textes. Notre rôle est d’abord de sensibiliser le peuple sur un certain nombre de choses, comme le racisme et le tribalisme, et surtout de montrer la réalité. Il faut éveiller la conscience des peuples afin qu’ils choisissent ensuite de bons leaders.

Dans le contexte camerounais, est-ce que ce n’est pas déjà s’attaquer au pouvoir ?

Pas directement. Quand, dans un clip, j’ouvre un robinet et que l’eau qui en sort est marron, les Camerounais comprennent bien ce qu’on veut dire. Quand je dis que je n’ai pas d’électricité ou que j’ai pu mettre mon diplôme au placard parce que je ne trouvais pas de travail, c’est clair aussi. Je n’invente rien et les gens le savent. Le message passe même s’il n’y a pas d’attaque politique directe.

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