Yoni Djongue a 18 ans. Elle est tétraplégique, mais sourit à la vie et la croque à pleines dents. Parée comme une princesse, la jeune fille qui souffre de paralysie est entourée de toute l’affection de ses proches. Au domicile de ses parents, sis à Nord Foire Extension (Dakar) où elle reçoit, la jeune fille devenue artiste-peintre, recroquevillée sur elle-même, sur le sofa de leur salon, raconte son histoire avec les pinceaux. Sa vie de tétraplégique.
«Je suis née le 5 avril 1995 à Ziguinchor. J’ai passé mon enfance entre cette région et Dakar où ma famille a décidé de s’établir, dans un premier temps, aux Parcelles Assainies. J’ai eu une enfance normale entre les amis et l’école. A l’âge de 10 ans, alors que j’étais en classe de Cp à l’élémentaire, je suis tombée subitement malade. Mon père qui avait l’habitude de nous ramener des fruits et autres sucreries est revenu un soir avec du lait caillé, j’en ai bu un verre et j’ai eu une crise au milieu de la nuit. Je sentais ma poitrine battre vite, je ne pouvais plus respirer, mon cœur me faisait mal, j’ai appelé mon père qui m’a de suite transportée à l’hôpital Nabil Choucair, avant d’être transférée le lendemain vers Fann pour cause de neuro-palu. J’ai perdu connaissance et je suis restée un mois et 15 jours dans le coma. A mon réveil, je ne pouvais plus marcher. Les médecins ont essayé de me tenir debout, mais je ne sentais plus ni mes jambes, ni mes mains, ni le reste de mon corps d’ailleurs. Je ne pouvais même plus parler. J’ai dû faire d’intenses séances de kinésithérapie pour recouvrer la parole. Je n’ai pas tout de suite compris ce qui m’arrivait. Je n’avais que 10 ans et je me disais alors que j’allais sans doute remarcher avec le temps.
Yoni
«Si je suis clouée sur ce fauteuil, c’est parce que Dieu l’a voulu»
Mais au fur et à mesure que je grandissais, mon corps restait inerte et mou, j’ai compris alors qu’il y avait peu de chance pour que je retrouve ma mobilité. J’avais 15 ans et je voyais tout le monde autour de moi marcher, mes camarades de jeu se déplaçaient normalement, mes petites sœurs aussi vaquaient à leurs occupations et moi, je restais clouée sur place. Il m’arrivait de faire face à des réflexions méchantes. J’étais gênée, je voulais me cacher aux yeux du monde avant de comprendre que tout n’arrive pas par pur hasard. Si je suis clouée sur ce fauteuil, c’est parce que Dieu l’a voulu ainsi et je suis une croyante. Je crois fortement en Dieu et à son Prophète (Psl). Grâce à la religion et avec l’aide de mon guide spirituel, Cheikh Alassane Sène, président de la fondation «Sallalahou Ala Muhamad», j’ai surmonté ces mauvais souvenirs pour ne plus voir que la volonté du Seigneur. N’empêche, parfois, je me surprends à regretter de ne pouvoir marcher (sa voix se brise, mais elle continue résolue), marcher m’aurait rendu heureuse… mais, il est vain et inutile de revenir sur le passé. Depuis que je suis tétraplégique, ma mère a mis de côté une partie de sa vie, elle n’est plus vraiment heureuse, elle ne s’habille plus comme avant et ne cherche la compagnie de personne. Je suis sa seule amie et elle reste à la maison pour me tenir compagnie. Je n’ai pas d’amie, seule ma famille est mon amie. Je suis l’ainée d’une fratrie de 6, mes frères et sœurs me soulagent dans mon handicap, ils ne lésinent pas à m’aider et anticipent mes moindres désirs. Les garçons me servent de bras lorsque je peins, ils me passent les pinceaux, trempent les couleurs, installent le matériel.
«Comment je suis devenue peintre…»
Le désir de peindre m’est venu très naturellement. Je voyais mon père dans ses œuvres de peinture et sculpture. Un jour, je lui ai demandé d’essayer, il m’a regardée, il semblait surpris et m’a demandé si je voulais vraiment peindre. J’ai insisté et il m’a installé une petite toile avant de me mettre le pinceau dans la bouche. Cette première expérience a été un échec total, je ne me suis pas découragée pour autant et à force d’essayer, j’ai fini par réussir. Il faut aussi dire que mon père m’aide beaucoup. La peinture est une activité qui me permet d’oublier ma tétraplégie, elle me repose et remplie mes moments de solitude. Il n’est pas naturel pour un être humain de rester sans rien faire, d’autant plus s’il s’agit d’un enfant qui doit aller à l’école. Avec la peinture, c’est la seule fois où je peux dire que j’accomplis quelque chose de moi-même. Mon père m’a introduite dans le milieu des expositions, il m’emmenait souvent à ses vernissages et exposait toujours un de mes tableaux. Je n’ai eu aucun mal à m’intégrer parce que je n’ai pas peur du regard des autres, je m’accepte comme je suis et si quelqu’un n’est pas d’accord, ça ne regarde que lui. Dans mes rêves d’enfant, je m’imaginais être une grande célébrité qui réussirait dans un domaine intellectuel, parce que j’adore les études.
«Les autorités restent sourdes à mes demandes»
Aujourd’hui, je poursuis toujours mes humanités même si cela est très difficile. Je n’arrive jamais à m’inscrire à temps, parce que les procédures pour bénéficier du social pour les personnes dans mon cas sont très ardues. J’ai multiplié les demandes de bourse pour bénéficier de l’appui financier de certaines organisations comme la Fondation «Servir le Sénégal», mais jusqu’à présent, mes sollicitations sont restées lettre morte. Pour mon exposition («Le pinceau de la Paix» du 5 au 20 avril au centre l’Athénée, sur la route du King Fahd Palace, Ex-Méridien), j’ai adressé une demande de soutien au ministère de la Culture, mais je n’ai pas encore eu d’avis favorable. Ce n’est que par la suite que j’ai pu bénéficier de l’appui de l’Action sociale pour pouvoir financer mes études. J’ai décroché mon Entrée en 6e l’année dernière, au Centre Talibou Dabo, mais je souhaite poursuivre le plus longtemps possible mes humanités. Je n’aurais jamais imaginé qu’étudier puisse être aussi difficile pour une personne à mobilité réduite comme moi. J’arrivais à m’en sortir grâce à mon ordinateur portable que m’avait offert ma marraine, Maryse Garçon Fall, mais, il est hors d’usage depuis bientôt 3 mois. Au début, je ne parvenais pas à m’en servir, j’ai usé de moult subterfuges pour y parvenir et finalement, j’ai réussi en utilisant avec ma bouche une règle que je mettais pour taper du texte sur le clavier. C’était très difficile et je m’en tirais avec des torticolis. Et, à force de vouloir y parvenir, j’ai fini par retrouver un peu de mobilité avec les phalanges de ma main gauche. Aujourd’hui, je suis orpheline de mon ordinateur.
J’aspire à devenir un modèle pour les personnes à mobilité réduite comme moi. Pour moi, une personne en situation de handicapé doit s’assumer et ne pas avoir honte de son handicap.»
L’Observateur
Source : http://www.rewmi.com/

OLD_PACA